Leoš Janáček


Le secret de Janáček...

Choisir une œuvre pour aborder Janáček ? Les quatuors à cordes. Peut-être à cause du choc et du désir ardent d'entendre comment seule une bonne dizaine d'années le sépare de Dvořák ? Mais cédons la parole à Guy Erismann dont la biographie de Janáček montre bien l'exigence de vérité et la recherche d'une voie personnelle dictée par l'authenticité. Une lecture fourmillant de détails sur la richesse musicale en Bohême et en Moravie au 19e siècle et au 20e siècle avec l'installation de la jeune république tchécoslovaque. Ainsi, ce que l'auteur écrit à propos de la sonate Z Ulice (De la rue) : "Je pense que l'étude minutieuse de cette sonate, composée d'un seul jet, permet de bien comprendre le "secret" de Janáček ; combien ce style lui était déjà devenu familier, permettant d'entraîner l'expression immédiate de sa pensée, de ses émotions, de son dialogue intérieur. La sonate est aussi le témoin du tempérament dramatique du compositeur. C'est ici, d'une manière concise, la représentation d'un conflit psychologique et bien que les paroles soient absentes, on retrouvent les mêmes structures basées sur le principe des mélodies du langage. Autant dire que la formation qu'il s'était imposée portait ses fruits et qu'elle explique déjà sa fécondité prochaine dans un renouvellement facile et quasi intarissable de son écriture. C'est un phénomène presque unique que cette faculté de traduire en langage musical, d'une manière évidente, naturelle et immédiate, toutes les nuances de la sensation. Si l'on s'étonne qu'une telle méthode - qui en réalité n'en est pas une car elle ressort de la réaction spontanée - n'aboutisse pas à la redite mais féconde au contraire la diversité, il faut se rendre à l'évidence et reconnaître que nous entrons dans un domaine inviolable. On ne peut que l'expliquer par le rappel de l'éthique personnelle du compositeur fondée sur une grande curiosité en toutes choses, une référence constante aux sensations pures que sont l'enfance et la nature." (pp 115-116). (Janáček ou la passion de la vérité, par Guy Erismann, éditions du Seuil, 1980, 352 p.) On rapprochera avec intérêt cette analyse de ce que Grove écrit à propos de Pavel Haas, qui fut élève de Janáček. "Parmi les élèves de Janáček, certains l'imitaient, d'autres s'en détournaient, tandis que P. Haas réussit à assimiler ses méthodes dans son propre langage, utilisant des motifs serrés et expressifs dans des textures d'une remarquable invention, mélodique, harmonique et rythmiques." (Grove's Dictionary of Music and Musicians)


Pour la bibliograhie, voir plus bas, après la Discographie.



Eléments biographiques

Leoš JANÁČEK (Hukvaldy 3 juillet 1854 – Ostrava 12 août 1928)

Un solitaire attentif aux autres

Qui était cet homme, ce compositeur tchèque, dont le destin fut en apparence aussi équilibré que mouvementé ? Il était natif du nord de la Moravie, à une trentaine de kilomètres d'Ostrava, une campagne aux paysages onduleux et boisés. Issu d'une famille de kantors, ces instituteurs obligatoirement musiciens, il connut les manifestations musicales les plus diverses, à l'école, à l'église, au bal et au champ. Orphelin à 11 ans, il fut admis comme boursier au collège des Augustins de Brno dont le directeur, Pavel Křižkovský, était un compositeur réputé de musique chorale. Le jeune Janáček recevra son enseignement, et un fort sentiment d'identité slave, source d'un patriotisme exacerbé et d'une résistance farouche à l'encerclement culturel germanique. Křižkovský l’emmena avec les autres élèves à Velehrad pour la célébration du millénaire de la Grande Moravie dont cette ville fut la capitale. Il y eut un choc patriotique et cette slavité restera un trait dominant de sa vie civile et musicale. Il suffit de rappeler son engagement patriotique couronné par la Messe Glagolitique (1926).

Selon la tradition familiale, Leoš Janáček devait être instituteur et musicien. Il entra à l'Ecole Normale où plus tard il enseignera lui-même jusqu'à sa retraite (1904). Pourtant dès son adolescence, le futur instituteur manifesta un caractère non conformiste, rebelle et iconoclaste, notamment à Prague quand, à 20 ans, il fréquenta le Conservatoire (1874-1875). Il exprima une opinion également négative cinq ans plus tard sur les conservatoires de Leipzig et de Vienne où il passa quelques semaines. Marié en 1881 à Zdenka Schulzová, fille du directeur de l'Ecole Normale, il se consacra à sa ville de Brno, y jouant un rôle de compositeur citoyen, animant chœurs et orchestre, créant le Théâtre et l’École d'Orgue (Conservatoire). Il composa relativement peu à cette époque, simplement pour les besoins de la pédagogie et des chorales locales, cherchant avant tout une voie originale en rupture avec les systèmes hérités du classicisme et du romantisme.

Les deux périodes de Janáček

Il est relativement facile de fragmenter la vie de Janáček en autant de périodes qui marquent l'évolution de sa formation et de son originalité créatrice. En simplifiant, les connaisseurs admettent, à juste titre, que sa carrière de musicien ouverte sur une vision nouvelle, moderne et authentique de la sensibilité contemporaine, date de Jenůfa, alors que le compositeur entrait dans sa cinquantième année. Destin étrange que celui de ce compositeur né au milieu du 19ème siècle qui deviendra et restera le compositeur tchèque le plus novateur du 20ème siècle. Au début de ce siècle, en même temps que son langage s'affermissait, sa vision du monde en devenait le support le plus solide, dans un mélange d'utopie et de réalisme. Ses opinions fondamentales de patriote, de sociologue, de philosophe, lui ont inspiré une écriture hardie et désinvolte, un style résolument marginal en regard des traditions et des styles les plus avancés. Chez lui, rien ne relève d'un formalisme volontariste. Le maître-mot est la vérité telle que lui-même la percevait ou la vivait. La société rurale ou citadine lui offrait les modèles de cette authenticité dont il va irriguer sa musique. Elle sera faite de tendresse et de commisération, d'exaltation et de repli, de jeunesse, d'utopie et de renoncement, dans une combinaison très réaliste et très philosophique d'un pessimisme circonstanciel et d'un optimisme permanent.

Toute la dernière partie de sa vie, après Jenůfa, et plus spécialement les dix dernières années, de 1918 à 1928, est tissée de ces contradictions, illustrées spécialement par ses opéras : Kátia Kabanová, La Petite Renarde rusée, L'Affaire Makropoulos, De la Maison des Morts, alors qu'un enthousiasme jubilatoire envahit la Messe glagolitique et la Sinfonietta.

Il y aurait ainsi un avant et après Jenůfa, mais cette simplification élude les vraies questions de la création musicale telles qu'elles se posaient à Janáček au sortir du romantisme, à l'aube du 20ème siècle.

Dans le domaine de la pianistique, le pas franchi par le compositeur avec les pièces du premier recueil Sur un Sentier recouvert, dont la composition est échelonnée de 1900 à 1908, et surtout la Sonate I. X. 1905, paraît considérable. La Sonate, qui jaillit spontanément sous le coup d'un événement politique et patriotique, reste un point fort, révélateur d'un nouveau compositeur ; il faut la placer à côté des deux opéras Jenůfa (1903) et Osud (Le Destin, 1904), deux modèles parallèles - villageois et citadin - d'un réalisme poétique basé sur la recherche d'une vérité musicale associée aux accents du langage parlé. Avec la Sonate, la vérité est strictement psychologique et non descriptive ; on y retrouve la même utilisation des pulsions intérieures traduites par le langage. Que s'était-il donc passé pendant ces vingt-cinq années depuis les Variations Zdenka, pièce écrite sous le feu de son premier amour ?

L’affirmation de la personnalité

Mariage raté et perte de ses deux enfants, déceptions professionnelles peut-être, mais surtout, toute une carrière de professeur à l’École Normale doublée d'activités musicales multiples : enseignement, animation de la vie musicale de sa ville. Surtout une réflexion sur les rapports du compositeur avec ses concitoyens et en corollaire, le besoin ardent de concilier tradition et modernité, populaire et savant. Également des compositions, souvent des essais sans suite, de musique instrumentale, quelques œuvres de circonstances pédagogiques, beaucoup de chœurs et enfin, un premier opéra, Šarka, en 1887 qui recèle déjà les traits fondamentaux du futur Janacék. Sa personnalisation devait s'affirmer puis se développer au cours des dix années suivantes sous le coup d'études nouvelles dans deux directions apparemment sans rapport mais dont le parallélisme devait se révéler fructueux.

La première est de caractère ethnologique, menée en compagnie d'un confrère de Brno, František Bartoš, éminent philologue. Les deux hommes entreprirent de noter les chants et danses populaires de Moravie et de la Slovaquie limitrophe. Le musicien s'intéressait tout autant aux articulations du parler par rapport à la musique qu'à la musique elle-même. Bientôt il notera avec précision le langage parlé, ses fluctuations, ses métamorphoses sous l'effet du milieu, des circonstances et des états psychologiques successifs. Il observera donc les ressorts de la vérité du vécu telle que l'individu l'exprime spontanément, et comment, inconsciemment, il construit son langage. Il ne s'agit donc pas pour le compositeur de copier le langage parlé mais d'appliquer en musique les mêmes réflexes.

La seconde étude relève d'un approfondissement des travaux du célè-bre physicien et philosophe H. von Helmoltz (1821-1894), spécialiste à la fois de l'acoustique et des effets psychophysiologiques de la musique. Janáček s'est nourri de son étude. Il conclut à l'antériorité du parler sur la musique. Il était sur la voie qui conduit à libérer 1'enchaînement des accords. La caractéristique de l'écriture de Janáček appelée un peu rapidement « Musique du langage parlé » est loin d'être, comme on l'a dit souvent, le fruit d'une observation primaire mais l’œuvre d'un homme d'une culture humaniste très diversifiée dans laquelle entrent et se combinent la physique, la psychologie, la philologie et l'art populaire comme l'art savant. Le fruit de ces recherches irrigue toute son œuvre et en fait une bonne part de l’extraordinaire orginalité.

Si Janáček a pu renier le passé, sa rupture avec ce qu'on a pu lui apprendre à Prague, Leipzig ou Vienne ne met pas à mal la tradition mais seulement les règles factices et arbitraires dont on l'a affublée. Au contraire, chez lui la tradition renouvelée paraît neuve, raisonnée, prête à engendrer librement des émotions artistiques conformes à la sensibilité de notre temps.

Parmi les pièces pour piano les plus célèbres, la Sonate et les deux cahiers Sur un Sentier recouvert, déjà cités, sont autant de tableaux poéti-ques d'une écriture limpide, délicates d'exécution, qui semblent combler les heures de doute après les échecs successifs de Jenůfa refusé par le Théâtre national de Prague et dont la création fut sans cesse reportée. Ainsi la carrière du compositeur était en crise, voire dans l'impasse. Prague ne le reconnaissait pas comme compositeur, se contentant de louanger un distingué folkloriste. À Brno, il était supplanté par un compositeur plus jeune, Vítězslav Novák. Janáček, retraité en 1904, faisait figure de compositeur local, pédagogue original, habile compositeur de chœurs. De ces Chœurs, véritable théâtre choral, on rapprochera les Chœurs composés en pleine guerre (1916) pour les Institutrices moraves, les hommes étant au front. La couleur ? Janáček en avait déjà fait preuve en 1910 dans Pohádka (Conte) et le Presto pour violoncelle et piano, œuvres que lie un évident cousinage.

La gloire

La dernière partie de la vie de Janáček recèle les œuvres qui, avec Jenůfa, ont fait le plus pour sa gloire. Cette période s'ouvre sous trois signes heureux : le triomphe, tardif mais éclatant, de Jenůfa en 1916 ; Kamila, présente depuis 1917 dans la quasi totalité de ses œuvres ; enfin l'indépendance attendue de la Patrie (1918), devenue la République Tchécoslovaque. Ces trois événements provoquent un éclatement des structures mentales et dégagent l'horizon artistique de Janáček. Le « vieux » compositeur ne recula devant aucune audace et fit preuve dans ses opéras d'une lucidité philosophique très surprenante. Il brise alors les tabous et s'engouffre dans la brèche ouverte par Jenůfa. Ce vieux morave ne tarde pas à devenir le plus jeune et le plus audacieux compositeur. Singularité de l'écriture et de l'instrumentation, dépouillement extrême et pourtant palette riche dans le Concertino, le Capriccio et Mladí (Jeunesse, 1924), rénovation et mise en scène du chant populaire dans la suite de Řikadla (Contines 1925-27), flamboiement orchestral et exaltation dans la Sinfonietta et la Messe glagolitique.

Les deux Quatuors à cordes - Sonate à Kreutzer (1923) et Lettres intimes (1928) - restent les compositions types de l'art musical de Janáček, art à la fois instinctif et raisonné que lui-même ne sait définir qu'en termes vagues, par analogie à la nature, à la jeunesse, à l'amour. Les Quatuors sont pourtant dépouillés, peu bavards, déroutants, rebelles à l'analyse, épousant les soubresauts de l'âme et du corps, dans le heurt de brèves cellules thématiques, dans la répétition insistante des motifs. Une musique qu'il faut à chaque instant reconstruire, laissant le sentiment qu'elle s'épuiserait d'elle-même si l'artiste n'introduisait l'ordre intérieur qui commande la forme. Phénomène très Janáčekien que cette dépendance totale de la forme à la pensée.

Si la Sonate pour piano et les deux Quatuors peuvent être considérés comme des œuvres clés de la dramaturgie instrumentale, il en est une, qui mieux qu'aucune autre, symbolise la dramaturgie existentielle de Janáček, aussi bien de l'homme, du citoyen que de l'artiste : Le Journal d'un Disparu. Il est plein de Kamila, identifiée à Zefka, la tzigane, et fut composé à la suite de leur rencontre, à l'aube de leurs relations. L'homme y est tout entier, confronté à l'amour et à la jeunesse, en quête du bonheur et révolté contre ce qui le lui dispute: préjugés, famille, église, race, revendiquant la justice simple en harmonie avec l'épanouissement naturel.

Janáček, compositeur inclassable

Janáček a plus de 70 ans quand il assiste au triomphe de Věc Makropoulos, son avant-dernier opéra. Depuis bientôt dix ans, il allait de succès en succès, non seulement au théâtre mais dans toutes ses entreprises musicales, dans son pays et dans le monde entier. N'était-il pas en quête d'émotions que lui procuraient ses fréquentations féminines ? C'était un chasseur de bonheur dans sa vie privée et dans sa vie musicale, l'une et l'autre contrariées par des diktats contre nature. Sur le plan de l'écriture, n'a-t-il pas recherché avec passion le langage musical qui convenait à ses choix civiques d'artistes, être toujours au plus près du réel ?

Le comportement de Janáček fait de celui-ci un compositeur inclassable, ni naturaliste ou réaliste, ni vériste ou expressionniste. À peine fut-il effleuré par l'historicisme, le symbolisme, l'impressionnisme, l'Art Nouveau et en dernier lieu, par la mode des Arts Décoratifs des années 1920. Ainsi Janáček ne se rattache à aucune mode, à aucun style, il est lui-même et de ce fait paraît toujours nouveau. La vérité serait donc le meilleur garant de la modernité. La recherche de l'esthétique n'est pas son problème, à moins qu'il existe une esthétique de la vérité bien différente de ce qu'on appelle le réalisme.



Catalogue des œuvres - Sélection

(Le catalogue alphabétique complet et détaillé en français et le catalogue chronologique en tchèque et en français se trouvent dans Guy Erismann, Janáček ou la Passion de la Vérité, Seuil 2007).


Adagio pour cordes (1891)
L'Affaire Makropoulos (Věc Makropulos, opéra en 3 actes (1923-1925) 1926, texte de Karel Čapek
Au chalet de Solan Na Solánï Čarták cantate pour choeur d'hommes et orchestre (1911)
Allegro pour violon et piano (1916)
Amarus, cantate lyrique pour choeur mixte et orchestre (1897), texte de Jaroslav Vrchlický
Ballade de Blanik (Balada Blanická), poème symphonique pour orchestre (1920) d'après le poème de Jaroslav Vrchlický
Capriccio pour piano main gauche et vents (1926)
Chants populaires moraves (Moravké lidové písně), pour voix et piano (1921)
Chants de Silésie (Slezské písně) d'après d'Helena Salichová, pour voix et piano (1918)
Chansons de Detva (Písně detvanské), 8 chants slovaques avec piano
Chansons de Hradcany (Hradčanské pïsničky), 3 choeurs pour femmes, texte de F. Procházka (1916)
Commencement de roman (Počátek románu), opéra en un 1 acte (1891) d'après Gabriela Preissová
Concertino pour piano, alto, basson, clarinette, cor et 2 violons (1925)
Concerto pour violon et orch., Le Pèlerinage de l'âme (Putování dušičké), fragment (1927)
Concerto pour violon et orch., Le Pèlerinage de l'âme (Putování dušičké), fragment, reconstruction: L. Faltus & M. Štědru, 1988
Conte (Pohádka), pour violoncelle et piano (1910)
Le Danube (Dunaj), 4 poèmes symph. pour soprano et orch., inachevé et complété par O. Chlubna (1923-1928)
Danse serbe (Srbské kolo), pour orch. (1899-1900)
6 Danses de Lachie pour orch. (1889-1890)
Danse de Lachie, 2ème version (Pozehnany), danse pour orch., Sol (1899)
Dans les Brumes (V mlhách), 4 pièces pour piano (1912)
De la Maison des Morts (Z mrtvého domu), opéra en 3 actes (1927-1928) 1930 d'après Dostoïevski
De la Maison des Morts (Z mrtvého domu(, suite pour orch. [extr. de l'opéra]
Le Destin (Osud), opéra en 3 actes [rév. en 1906-1907] (1903-1905) 1958 livret de L. Janáček, versifié par F. Bartošová
Le Destin (Osud), suite pour orch.
Dumka, pour violon et piano (1879-1880)
Elégie sur la mort de ma fille Olga (1903)
L'Enfant du Ménétrier (Šumařovo dítě, ballade pour orch. (1912)
Enfantines (Řikalda, cycle de 18 pièces pour 2 sop., 2 contralt, 2 tén., 2 basses, piano et ens. de chambre (1925)
L'Evangile éternel (Věčné evangelium) (1914)
Les Excursions de Mr. Broucek dans la lune et dans le XVe siècle (Výlety pana Broučka), opéra en 2 parties (1908-1917) 1920
Fantaisie chorale pour orgue (1875)
Le Faucon cendré (Šivý sokol zaletěl), chanson populaire silésienne pour choeur mixte avec piano (1890)
Le Fou errant (Potulný Šilenec) (1922)
Idylle (Idyla), pour orch. à cordes (1877)
Jeunesse (Mladí), suite pour sextuor à vent (1924)
J'ai semé de la verdure (Zelené sem sela), pour choeur mixte et orch. (1892)
Jalousie (Zárlivost), ouverture pour orch. (1894)
Jenůfa, opéra en 3 actes (1894-1903) 1904 * Janáček: G. Preissová: "Sa belle fille"
Journal d'un disparu (Zápisník zmizelého), suite de 22 poèmes pour ténor, alto, 3 voix de femme [SSA] et piano (1917-1919)
Kašpar Rucký, ballade pour choeur de femmes (1916), texte de František Procházka
Kátia Kabanová, opéra en 3 actes (1919-1921) d'après L'Orage de A. N. Ostrovský
Kozáček, danse cosaque pour orch. (1899-1900)
Marche des Gorges bleues (Pochod Modráčků), pour flûte piccolo et piano (1924)
Maryčka Magdonová, Choeur pour voix d'hommes, texte de Petr Bezruč (1906-1909)
Messe glagolithique, pour soprano, contralto, ténor, basse, choeur à 4 voix, orch. et orgue (1926)
Messe pour choeur mixte et orgue, Mi b (1907-1908)
Nocturnes populaires (1906)
Notre Père (Otce náš) (1901)
La Petite Renarde rusée (Přïhody Lišky Bystroušky), opéra en 3 actes (1921-1923) 1924 livret de Janáček d'après Těsnohlídek Lyška Bystrouška
La Petite Renarde rusée (Přïhody Lišky Bystroušky), suite pour orch. [extr. de l'opéra]
La Piste du Loup (Vlčí stopa) choeur pour voix de femmes (1916), texte de J. Verchlický
Poésie populaire dans les chansons de Hukvaldy (Hukvaldská lidová poesie v písních), pour voix et piano (1898)
Presto pour violoncelle et piano (1910)
Quand nous sommes allés à la fête (Kde sme šli na hody), pour choeur mixte et orch. (1892)
Quatuor à cordes n° 1 Sonate à Kreutzer (1923)
Quatuor à cordes n° 2 Lettres intimes (Listy důverné) (1928)
Rákós Rákóczy, ballet en un acte (1891) livret de Jan Herben
Romance, sept pièces pour violon et piano (1879)
Seigneur prend pitié (Hospodyne pomiluj ny) (1896)
Sinfonietta pour orch. (1926)
Sonate pour piano '1.X.1905' (1905)
Sonate pour violon et piano, la b (1913-1921)
Sonate pour violoncelle et piano, Pohadka (Conte) (1910, 1923)
Suite pour cordes (1877)
Suite pour orch. "Sérénade" op.3 (1891)
Taras Bulba, rhapsodie slave pour orch. (1918)
Thème et variations "Variations pour Zdenka" (1880)
Troják lašsky, danse pour orch.



Place de Leoš Janáček dans la musique tchèque

Ecrits de Leoš Janáček
Choisis, traduits et présentés par Daniela Langer

Bien avant que le poids de ce volume me soit passé de la main droite à la main gauche, il ne fait aucun doute que si Janáček n’avait pas été un grand compositeur il aurait été un magnifique écrivain et pas uniquement sur la musique (La « seconde plume » de Janáček).
Contrairement à certains musicologues qui utilisent le compositeur, ou la musique en général, pour mettre en avant leurs propres idées, Daniela Langer s’efface en toute humilité devant son sujet, même si dans l’introduction et au détour des notes de bas de page elle témoigne discrètement de son attachement à sa terre d’origine. Elle ne se met d’ailleurs là qu’en harmonie avec celui dont elle a traduit et présente un choix d’écrits. Le respect du texte original va même jusqu’à faire de la seule lettre citée de Kamila Stösslova une traduction où l’on comprend que le niveau d’éducation de cette dame était assez simple. L’intérêt de la source première sans paraphrase prend ici toute sa dimension. Ce n’est évidemment pas le propos de Daniela Langer de démontrer les qualités stylistiques de Janáček écrivain. Elle s’attache avant tout aux idées, mais immanquablement, la « seconde plume » de Janáček se révèle admirable. Celle de Daniela Langer ne l’est d’ailleurs pas moins de fluidité et de concision – rappelons tout de même que le français n’est pas sa langue maternelle – dans les commentaires dont elle déclare avoir senti la nécessité au fil de la traduction des écrits, un travail qui lui a pris cinq années. L’intensité de ce travail passionnant et de longue haleine transparaît dans les trente pages indispensables de l’introduction.

Les écrits de Janáček n’étaient jusqu’à présent accessibles qu’à ceux capables de les lire en tchèque ou dans leur traduction anglaise (le travail gigantesque de John Tyrell) ou en allemand. Malgré quelques figures de proue, la musicologie française reste à bien des égards en retrait par rapport à ses consœurs étrangères. Il n’y a pour s’en convaincre, s’il en était besoin, qu’à consulter les références bibliographiques de cet ouvrage : la biographie de Janáček par Guy Erismann, le mémoire de recherche de Marianne Frippiat, cinq numéros d’Avant-Scène Opéra et un ouvrage polonais écrit en français. A côté de ceux-là, dix ouvrages de poids en anglais. Remercions donc l’éditeur d’avoir longuement encouragé Daniela Langer à mener à bien ce travail considérable. Un tout petit bémol, mais qui ne porte pas sur le contenu : l’alternance des commentaires et du texte de Janáček aurait gagné en lisibilité par un choix de deux polices plus différentes.

Les 490 pages de texte français ne représentent qu’une toute petite partie de l’ensemble des écrits de Janáček qui en compte des milliers, entre sa correspondance, ses écrits théoriques, ses articles pour les journaux…qui tous d’une manière ou d’une autre attestent du caractère de leur auteur : rigueur pour lui-même comme pour les autres, combativité rarement prise en défaut et jeunesse d’esprit indéfectible. Le choix de ces textes a dû être cornélien, car dans la nécessité de se limiter, comment décider de laisser certains écrits pour en privilégier d’autres. Là, on peut supposer que le propos de Daniela Langer était d’ouvrir au lecteur quelques portes et non toutes sur l’homme, sa vision de la musique, ses recherches sur les musiques populaires, ses études théoriques sur la mélodie du parler (le chapitre A l’écoute de l’infiniment petit), ses analyses percutantes (ce caractère perçant de l’accord de septième diminuée…, p. 129) ses combats, ses aspirations, ses passions (les lettres aux femmes qui ont éclairé sa vie), ses certitudes obstinées –beaucoup– et ses doutes –peu–, son exigence aiguë de vérité. Déjà tout un programme. Jenůfa en apparaît comme l’emblème parmi les œuvres les plus approchées : son long refus par Karel Kovařovic, les interventions de Max Brod (dont l’auteur cite l’impression que lui fit Janáček : …un « vieillard » aux joues cramoisies, au beau front bombé et au regard ensorcelant, quasi méphistophélique, une tête goethéenne aux traits tendrement slaves, plutôt trapu mais bien campé sur ses jambes, hirsute, saintement naïf, brûlant d’énergie, (p. 359). La victoire à Prague, enfin, et la gloire. A travers ses écrits, Janáček fait à l’évidence son propre portrait, combien attachant, celui d’un diable d’homme.

Pour le lecteur qui connaît ou s’intéresse un peu à la langue tchèque, les notes explicatives linguistiques de certains mots ou expressions apportent des détails utiles sur des spécificités tchèque ou moraves ou des créations de mots par Janáček. Les autres notes, à lire absolument, contiennent d’indispensables précisions et rappels historiques ou de personnages ayant meublé la vie artistique de l’époque, sans donner dans l’excès de culture.

Tels qu’ils sont présentés par Daniela Langer, les Ecrits ne sont en rien une biographie contournée de Janáček. Certains événements majeurs de la vie du compositeur sont évoqués parce qu’ils mettent son œuvre en perspective. Il faut donc, pour être vraiment en mesure de tirer tout le profit de ces Ecrits, lire ou avoir lu le livre de Guy Erismann (et/ou ceux de Patrice Royer et Jérémie Rousseau). Connaître l’œuvre de Janáček va de soi, mais avec les Ecrits on y pénètre avec passion.

Le livre s’articule en six chapitres dont les titres sont imaginés avec un sens évocateur aigu : (Copeaux de formation, Entre le « cru » et le « cuit », Litière de la composition, …). On peut aussi discerner deux grandes parties à peu près égales en volume. La première où Janáček témoigne de sa formation musicale et établit les fondements théoriques de son œuvre et où, par exemple il explique le mode à sa manière dans le chapitre La litière de la composition. Sa lecture exige une attention soutenue si l’on veut extraire la substantifique moelle de sa pensée musicale. Dans la seconde, plus factuelle, inscrite dans le cours artistique et quotidien de l’existence du compositeur, les écrits, comme les commentaires discrets de Daniela Langer, reflètent certains aspects de la vie émotive de Janáček liés à ses compositions. Les soucis matériels ne sont pas esquivés mais c’est le long combat pour Jenůfa qui retient l’attention (De l’ombre à la lumière). Peu d’allusions aux événements de la guerre à peine signalée par le manque de denrées. Par contre, il est tout à fait étonnant de constater combien Vienne, au bord du gouffre, s’ouvre à la musique de Janáček (édition des opéras).

Pour l’ancien technicien du son que je suis, il est particulièrement intéressant de lire sous la plume de Janáček quelques paragraphes sur le son en tant que tel. Il avait, grâce à ses lectures d’ouvrages scientifiques, été sensibilisé à l’aspect psycho-physiologique du son. On sait que les physiciens ont longtemps considéré seulement trois caractéristiques du son : la fréquence, l’intensité et le spectre harmonique. Mais la durée n’était pas réellement prise en compte avec sa décomposition en trois parties : l’attaque (les transitoires que Janáček appelle le « temps accentué »), le corps et l’extinction. Il est réjouissant de lire : Du point de vue physiologique, le commencement d’un son, comparé à son déroulement et à son extinction, est nettement différent. Il arrive souvent que toutes les conditions acoustiques sont déjà réunies – et pourtant on n’entend pas le moindre son ; bien qu’attentif, notre esprit ne s’en avise qu’au bout d’un certain laps de temps [...]. Cet instant initial du son, nous l’appelons son temps accentué. Nous le sentons comme une pression, quelle que soit l’intensité du son. Mais aussi l’accent du premier son entendu est particulier, sans parler des commencements des sons suivants. (p. 264)

Janáček écrivain et épistolier est aussi plein de poésie, de plaisir, de tendre délicatesse et de jubilation. Des regrets, jamais. De la pugnacité, beaucoup. Témoins ces quelques extraits qui parlent de la fine sensibilité de son écoute (Chap. III, A l’écoute de l’infiniment « petit ») : Pour le compositeur populaire, le son musical n’est pas ce son raffiné qui sort de l’instrument ; il est ébouriffé par des bruits, humide d’eau rapide ou de Danube, il prend la couleur verte du bosquet, blanche du foulard, devient confidentiel dans la bouche du bien-aimé. Il ne jaillit pas des petites têtes de notes, ni ne s’élance des sillons de cinq lignes ; il ne s’étire pas à l’aide des cinq doigts sur le violon, ni ne vole à travers les trous de la cornemuse, ni ne rampe sous les cordes du cymbalum. Il s’émiette de volupté, s’étire de désir et d’espoir ; des pommettes blanches il puise l’éclat et la force ; dans les yeux myosotis, il cueille la suavité. Il tend les bras vers les étoiles. Le compositeur populaire est attaché à tout ce à quoi et sur quoi il pense. La pensée au sens large et la pensée musicale sont pour lui les mêmes modes de pensée. (p. 192-193)

Ou sa plume acérée : […] Car d’autres livres sur la théorie écrits par des musiciens sont si affreux dans leurs définitions que ce n’est même pas la peine d’en parler. La raison principale en est que la plupart des musiciens pratiques ont peu de culture générale et qu’au contraire ceux qui écrivent sur la théorie de la musique sont trop peu musiciens. On attend un Messie, mais qui assurément n’échapperait pas à la croix (il a 25 ans) (p. 95). Profitons-en pour ajouter que les commentaires et explications que Janáček donne de ses opéras et des interprétations auxquelles il a assisté feraient bien d’être lus par certains qui se hasardent aujourd’hui dans des mises en scène peu engageantes.

Sur les mélodies du parler (extrait d’un entretien, 1928) : Pour moi, la musique telle qu’elle sort des instruments, des partitions – qu’il s’agisse de Beethoven ou d’un autre – contient peu de vérité. C’est sans doute que – c’était un peu étrange, vous savez – il arrivait, quand quelqu’un me parlait, que je ne comprenne pas ses mots, juste leur cadence mélodique ! Je savais tout de suite ce qui se passait en lui : je savais ce qu’il ressentait, s’il mentait, s’il était troublé, et pendant que cet homme me parlait – il pouvait s’agir d’une conversation banale – je sentais par exemple, j’entendais qu’au fond de son âme, il pleurait. Les sons, les cadences mélodiques du parler des gens, de tous les êtres vivants d’ailleurs, contenaient pour moi la vérité la plus profonde. Et, voyez-vous, c’était mon besoin vital. Tout mon corps avait à travailler – c’était autre chose que les doigts sur le clavier. Je collecte les mélodies du parler depuis 1879 – j’en ai compilé une littérature énorme – vous savez, ce sont mes fenêtres dans l’âme et ce que je voudrais souligner, c’est que cela a une grande importance précisément pour la musique dramatique.[…]

Sur la forme des compositions : […] et si Dvořák rentre à Prague, j’aimerais en profiter pour voyager avec lui. Je dois lui demander quels mouvements de Beethoven et d’autres classiques il recommanderait d’étudier en particulier. Même si j’ai déjà ma propre méthode et sais donc bien comment concevoir l’étude des pièces à découvrir, je serais intéressé de savoir dans quelle mesure Dvořák l’a lui-même pratiquée. (Il a 26 ans) (p. 106)

Ou l’évocation de son enfance : Sur la place de Králové klašter, mère me délaisse s’éloignant d’un pas lourd. Je suis en larmes, elle aussi. Solitude. Individus inconnus, froids ; école inconnue, lit dur, pain plus dur encore. De câlineries, point. (p. 50) et plus loin : Les touches de piano griffonnées avec une craie sur la table. Les doigts apprenaient à courir sur elles selon les notes de préludes de Bach. C’était navrant, car j’éprouvais un désir farouche de sons vivants ! (p. 62)

Enfin, comme le résume Daniela Langer : « adulte et formé, Janáček s’est trouvé avec une personnalité dédoublée, profondément ambivalente ; à la manière non point d’un schizophrène, mais d’un barbare raffiné ; de celui qui, tout en vibrant de toutes les couleurs, opte intellectuellement pour la pure ligne ; qui, voulant faire sien ce qu’il n’a pas, fût-ce en instance, obscurément en lui, va à l’encontre de sa propre nature. En s’appropriant la culture, le savoir, la science, il pensait pouvoir s’apprivoiser lui-même, dominer son sang. (Il n’y a pas à s’étonner qu’il n’y soit jamais parvenu, fort heureusement) ». (p. 120) et plus loin dans A l’écoute de l’infiniment « petit ». « Si nous avons mis le mot petit entre guillemets, c’est qu’il nous importe de suggérer d’emblée la nature double et ambiguë de cette petitesse qui était pourtant au centre même de l’attention de Leoš Janáček, homme et compositeur. A partir de la dernière décennie du XIXe siècle, le petit, l’apparemment négligeable, lui était devenu – à lui qui ne méprisait point la grandeur en soi, y aspirant même – de première importance, occupant presque tout son univers mental : son attitude d’observateur, son imagination, sa réflexion, ses recherches, ses méthodes de composition, sa poétique. (Janáček lui-même n’a jamais embrassé sa démarche ni ne l’a nommée d’aucune manière synthétique, comme nous, de loin, osons le faire ici). Involontairement, nous venons d’ouvrir grand l’intervalle dans lequel désormais tout se jouait pour le compositeur. Car c’est dans l’ambitus de cet intervalle qu’il put finalement se retrouver avec lui-même, avec sa nature première, et où le tout petit, le minuscule, l’infime, tout ce qui d’habitude passe inaperçu, est négligé ou objet de dérision, lui (re)devint « grand » et infiniment important. C’est dans ses limites qu’il commença à s’affranchir sérieusement de ce qui restait de sa « camisole de force », des études, de reconsidérer sa culture musicale et sa démarche d’artiste, et se fraya passage vers la liberté de sa propre expression. »


Fayard, novembre 2009, 509 p. 25 €
Collection dirigée par Sophie Debouverie
ISBN 978-2-213-64453-0


Gauthier Coussement



Discographie

Pour la discographie de Janáček, vous trouverez tout sur le site de La Médiathèque
www.lamediatheque.be
cliquez sur EMPRUNTER puis sur Classique et entrez le nom de Janacek.



BIBLIOGRAPHIE


[g]Leoš Janáček, Jean Silbelius, Ralph Vaughan Williams : un cheminement commun vers les sources
, James Lyon, éd. Beauchesnes, 2011, 718 p.
Janáček. Mode d'emploi, Marianne Frippiat, éd. Avant-Scène Opéra, 2011.(concerne uniquement les opéras)
g]Ecrits de Leoš Janáček [/g]Choisis, traduits et présentés par Daniela Langer , Fayard, 2009.
Janáček ou la passion de la vérité, Guy Erismann, Seuil, nouvelle édition 2007.
Janáček, Patrice Royer, éd. Bleu Nuit, 2004.
Leoš Janáček, Jérémie Rousseau, Actes Sud, collection Musica, 2005.
Dossier Leoš Janáček (James Lyon : Les sources selon Leoš Janáček / Aurèle Briard : Les trois recueils pour piano de Leoš Janáček / Martine Cadieu : Journal d’un Disparu. Le secret dans la musique de Leoš Janáček) éd. Beauchesne, Collection « Education musicale » n° 543/544.



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