Zbyněk VOSTŘÁK (1920 - 1985)

C’est en 1985 que Zbyněk Vostřák s’éteignait brusquement à l’âge de 65 ans. Plus de vingt ans après sa disparition, il est n’est pas inutile de se rappeler ce que furent la vie et l’époque de ce compositeur tchèque.
L’époque est celle de la normalisation en Tchécoslovaquie après les années du Printemps de Prague ; et de son vivant, la musique de Vostřák était peu jouée. L’homme suscitait aussi bien la discussion que le silence (sans doute gêné). Le temps a passé et aujourd’hui, son souvenir est quelque peu dilué. Raison de plus pour revenir sur cette figure intéressante de la musique tchèque.

Au cours de la dernière décennie, il n’y a eu que quelques exécutions d’œuvres et du côté des enregistrements, il n’y a pas de quoi remplir un panier : rien à trouver sur les sites commerciaux de musique tchèque ! Il y a donc une sorte de contradiction dans cette situation : l’on ne parvient guère à faire revivre l’héritage de Vostřák alors qu’il en va tout autrement pour Kabeláč, pour ne citer que cet exemple. Un embryon de réponse est à trouver dans la combinaison de circonstances historiques malheureuses.

Vostřák a consacré une part importante de son activité musicale à composer dans le courant de la Musique Nouvelle, une esthétique qu’il avait adoptée et à laquelle il s’identifiait fortement. Avec d’autres compositeurs tchèques – à compter sur les doigts d’une main – il cherchait donc à combler un vide stylistique dans la musique tchèque. Et au sein de ce groupe, il faut voir en lui un des créateurs les plus radicaux, donc aussi une sorte de stéréotype de l’ennemi comme le pointait l’idéologie culturelle communiste des années 1970 - 1985, année de son décès. Il n’aura donc pas connu les années d’assouplissement relatif du régime avant la Révolution de velours. Mais dès après 1989, un manque de soutien et une fragmentation interne se sont traduit pour la musique tchèque contemporaine par un réel problème de survie.

La musique de Vostřák des années 1960 reste assez inaccessible aux oreilles du public et on la voit ainsi très rarement au programme des concerts habituels sans compter qu’elle est déjà passée de mode pour les organisateurs de festivals d’avant-garde. Sa renaissance demeure donc quelque peu hypothétique.

Et pourtant, avec un peu de chance, on pourrait entendre des œuvres encore jamais exécutées que Vostřák écrivit dans la période de très grand isolement de la fin de sa vie, comme Vítězná perla (La Perle victorieuse), Tajemství růže (Le Secret de la rose) ou sa Sinfonia.

Quelles sont les qualités particulières de l’œuvre de Vostřák qui en font un jalon intéressant dans la musique tchèque, valant bien une renaissance ? Dans sa jeunesse, Vostřák démontra son talent de compositeur d’opéras et de ballets à succès comme Snow White (Blanche Neige) et Viktorka, encore au répertoire de province (tchécoslovaque, bien sûr) dans les années 1980. Certains se rappellent même encore ses opéras des années 1950, compositions écrites dans un style romantique tardif ou néoclassique commun à nombre de compositeurs tchèques de l’époque. Le tournant dans son écriture se situe en 1960. Il mettait la dernière main à son opéra Rozbitý džbán (La Cruche brisée) et avait déjà pris connaissance d’œuvres et de textes des compositeurs de la Musique Nouvelle. En traduction, il avait lu les écrits d’Adorno et de Boulez. Il avait entendu les musiques de Webern et de Stockhausen. Il avait assisté aux classes de Darmstadt avec d’autres compositeurs tchèques. Sa décision de s’orienter vers la Musique Nouvelle fut alors sans retour. A l’inverse de la plupart des musiciens tchèques qui, s’étant frotté à la Musique Nouvelle, en empruntaient certains éléments techniques nouveaux mais restaient dans le style néoclassique général, Vostřák rejeta globalement la tradition à tous les niveaux. Un nouveau compositeur voyait le jour : démarche éminemment courageuse pour un musicien dans la quarantaine. Dans la Tchécoslovaquie de l’époque, le risque était évident de se faire marginaliser pour avoir choisi une voie divergente de la ligne officielle. Mais heureusement, l’étau de la normalisation allait se relâcher quelque peu et Vostřák pu diriger Music Viva Pragensis, un ensemble qui se produisait dans les festivals importants de musique contemporaine en Europe : l’Automne musical de Varsovie, la Biennale de Venise, Donaueschingen et d’autres, ainsi que le festival ISCM de Prague en 1967 après un long éloignement. Après l’invasion soviétique de 1968, Musica Viva survécut encore quatre ans, puis fut interdite après les purges dans les milieux culturels. Dans les années 1970, Vostřák vivota pendant un temps comme compositeur indépendant grâce à des commandes occasionnelles de l’étranger mais bientôt son travail se réduisit dramatiquement à celui de copiste. Encore heureux que pour survivre il n’ait eu pas à rouler des fûts de bière comme certains dissidents. L’Union des compositeurs témoigna parfois d’une certaine clémence envers ceux qui avaient été écartés de ses rangs. Ainsi en 1981, avec la première de Fair Play (Mahasarasvati) et Parabolas, puis en 1982 avec l’exécution de Variations pour Orchestre lors de concerts de l’Union. Mais Vostřák n’entendit jamais la majorité de ses nouvelles œuvres, les rares premières ayant eu lieu à l’étranger.

C’est au cours de ses quinze dernières années de vie que Vostřák livra ses œuvres les plus intéressantes. Il avait défini sa théorie et perfectionné sa méthode de composition basée sur la séparation et l’indépendance de trois principes formels en les sérialisant pour en faire émerger des motifs pleins de charme et de clarté musicale. La structure de son travail intègre systématiquement des idées non musicales provenant de ses centres d’intérêt comme le mysticisme, la philosophie, la science et la religion. Selon sa poétique de création, tous les sujets n’étaient pas dignes d’une représentation artistique et moins que tous, ses propres émotions, subjectives par essence. Son intérêt allait vers des notions dépersonnalisées et objectives, toutefois sacralisées par une idée spirituelle, pour se fondre ensuite dans une forme musicale. Vu sous cet angle, sa musique est plus extatique que romantique. Ses dernières œuvres, écrites dans une profonde solitude et l’isolement réel, témoignent d’efforts acharnés et d’une grande humilité. Ce sont des pièces de musique remarquables, totalement différentes de celles qui répondent à des critères sociaux ou de commande.
[Adapté de l’article de Miroslav Pudlák dans Czech Music 2000 :6]

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