Milan Slavický est né à Prague le 7 mai 1947. Son père, Klement Slavický, était un compositeur en vue et producteur à la radio tchèque, poste qu’il perdit rapidement après la prise de pouvoir des communistes en 1948. Détail musical piquant, l’un de ses grands-pères avait été élève de Janacek et l’autre de Dvořák.
Milan Slavický étudie la musicologie à l’Université Charles à Prague [1965-70, doctorat en 1972, post-graduat en théorie musicale à l’Académie des Arts à Prague en 1970-1972 et enfin, un projet de recherche externe au département de science musicale de l’institut d’histoire de l’art de l’Académie des sciences tchécoslovaques, 1974-79] et la composition à l’Académie Janáček à Brno au cours des années marquées par l’ouverture politique de Dubček. C’est ainsi que parcourant l’Ecosse en auto-stop à l’âge de 21 ans en compagnie de sa fiancée Eva, Milan Slavický apprend la fin tragique de la tentative de libéralisation par l’entrée des chars soviétiques à Prague. Cruel dilemme vécu par nombre de Tchécoslovaques alors à l’étranger : rentrer ou ne pas rentrer au pays. Pour éviter d’en rajouter aux tourments politiques de ses parents, Milan Slavický décide de retourner à Prague et subit donc de plein fouet la normalisation.
La sûreté d’instinct de Jaroslav Šeda et d’Eduard Herzog fait que Milan Slavický entre chez Supraphon comme producteur de disques du répertoire classique, département dont il prend la direction après trois années [1973-1981, puis free-lance ; il aura supervisé plus de 500 enregistrements]. Pendant de nombreuses années, c’est à Milan Slavický que les discophiles devront cette haute qualité qui est la marque des enregistrements de la Philharmonie Tchèque captés au Rudolfinum (Maison des Artistes) ainsi qu’un enregistrement de La Passion grecque dirigé par Sir Charles Mackerras au studio Stadium de Brno.
En 1978, Milan Slavický visite à Londres les studios EMI et BBC et c’est à cette occasion que Patrick Lambert, l’auteur de l’original de cet article, le rencontre. Les années 80 sont pour Milan Slavický particulièrement difficiles tant par des ennuis de santé que par la stagnation économique et politique de la Tchécoslovaquie. Sans affiliation politique Milan Slavický ne connut de succès qu’à l’étranger ce qui lui valut bien des jalousies de la part des scribouillards du parti. Sa santé le met en retrait de ses activités chez Supraphon mais il reste directeur artistique indépendant.
Peu avant la Révolution de velours en 1989, Milan Slavický se rend à Boston (Université) où il se voit proposer un poste au département enregistrements sonores, poste qu’il refuse pour ne pas être coupé de sa famille. L’ironie de l’Histoire veut qu’il rentre à Prague précisément le 17 novembre 1989. Sa vie s’en trouve évidemment changée : il devient professeur à la faculté de philosophie de l’Université Charles et de composition à la HAMU. Václav Riedlbauch, son contemporain à quelques jours près, est comme lui professeur de composition à l’Académie de musique de Prague.
C’est aussi l’époque où il écrit une monographie sur Gideon Klein portant le titre de Fragment de vie et œuvre (texte en tchèque, existe en traduction anglaise) et plusieurs textes sur des musiciens qu’il a rencontrés dont Charles Mackerras, Claudio Abbado, Olivier Messiaen (Rozhovory z Domu Umělců). Aujourd’hui, il est rare que Milan Slavický puisse traverser la place Jan Palach devant le Rudolfinum sans être salué par quelque musicien.
Esprit ouvert toujours en quête d’élargir son champ de connaissances, ses compositions sont le reflet des nombreux aspects de la vie et de l’art. Son inspiration, il la puise à des sources aussi variées que Saint-Exupéry (Hommage à Saint-Exupéry et un mouvement du Triptyque Symphonique, Terre des Hommes) ou Shakespeare (une production pour le Festival d’Edimbourg, Hamletiana, mouvement central du Triptyque), ou plus loin encore, l’horreur de Mauthausen (Les Yeux, pour orgue, figurant au programme du Printemps de Prague de cette année) et d’autres œuvres inspirées de Breughel et Bosch ou des sculpture de Matiaš Braun (autre Triptyque Symphonique : Le Puits de la Vie), Porta Coeli d’après un portail gothique de Moravie et, source la plus vive, la Bible (Deux Chapitres du Livre de Saint-Jean). Si les premières compositions mentionnées sont relativement anciennes, les deux dernières sont nées dans la première moitié des années 1990 car, comme Milan Slavický le dit lui-même dans le texte de la pochette de l’enregistrement, ce n’est qu’après la Révolution de Velours qu’il a pu exprimer publiquement les sources profondément religieuses de son inspiration musicale sans devoir avoir recours à de pénibles métaphores.
A l’analyse de son langage musical, on est frappé de la cohérence avec laquelle il est resté à l’écart des tendances et des modes, fuyant les banalités et, grâce au ciel, le minimalisme. Pour autant, il n’a rien d’un traditionaliste. Il est une question que Patrick Lambert n’a pu s’empêcher de lui poser : comment a-t-il pu résister à toutes ces influences, entouré qu’il était de par son métier de producteur, influences insidieuses et souvent inconscientes. Sa réponse a été sans ambiguïté, indiquant que sa musique était en quelque sorte protégée par sa construction reposant entièrement sur le principe du choix des intervalles : « J\'utilise constamment six des douze intervalles, ce qui donne aux pièces une certaine accentuation de la mise au point matérielle. On peut comparer ce procédé à un peintre qui concentre son attention sur un nombre restreint de couleurs et de leurs nuances ».
Cette manière d’aborder la musique se traduit par une grande puissance, souvent avec une forte incidence de dissonances, loin du confort de l’oreille n’en plaise aux pusillanimes. Patrick Lambert se souvient avoir été assez secoué, lors de l’écoute de la première de l’enregistrement en 1980, par l’extrême degré de dissonance au point culminant de Le Chemin du coeur, pièce pour violon solo, bois, percussions, célesta et harpe. Quelques années plus tard, un enregistrement en est sorti avec le même soliste Jiří Tomášek dans la collection Nova Bohemica de Supraphon. Si l’on a fait l’effort de pénétrer dans l’univers du créateur, sa musique apporte un grand plaisir. Conflit et Catharsis, deux des mouvements d’un Quatuor à cordes de jeunesse intitulé Dialogues avec le Silence sont des moments marquants de son œuvre : Milan Slavický ne craint pas de s’attaquer à des aspects métaphysiques de la condition humaine, aux oppositions de la Vie et de la Mort, du Bien et du Mal, du Ciel et de l’Enfer. Certains voient même dans la progression de la tension une sorte d’envolée gothique où des visions cataclysmiques effrayantes, des combats cauchemardesques et la nécessité d’atteindre à tout prix un point de calme permettent de s’approcher de lieux enchanteurs symbolisés par les tonalités consolatrices de solos de flûte ou de violon à mesure que la musique se retire vers le silence. C’est ce que l’on peut ressentir dans Le Puits de la Vie, sous-titré Sinfonia mortis et vitae où la violence de l’ouverture Triomphe de la Mort fait place à Espoir. Donnée en 1988 lors de la Semaine de musique nouvelle (manifestation annuelle pragoise), cette œuvre préfigure de manière quelque peu prophétique l’assez proche « rupture entre le régime totalitaire et la liberté » (Milan Slavický).
Cette rupture pousse Milan Slavický à introduire dans sa technique d’écriture « un mode plus harmonieux par lequel j’essaie d’atteindre d’importantes transformations de tension ». Cela ne signifie en rien une dilution de l’intensité expressive. Tout au contraire. Les trois pièces de ce CD datent de la décennie 1991-2001 et montrent que le compositeur a atteint une maturité totale de son art au niveau de l’impact émotionnel, de maîtrise du matériel sonore, de la technique orchestrale et des couleurs instrumentales.
Porta coeli, une vision de la porte céleste ouvrant sur la lumière éternelle, a été écrit en 1992 pour les Berliner Festwochen et a décroché le prix de la critique musical tchèque cette même année.
Deux chapitres de l’Apocalypse – Lac de feu et La Nouvelle Jérusalem, combat du Bien et du Mal contrasté par une évocation de la Cité Céleste, demeure des bienheureux, est une commande de la Philharmonie tchèque et dédicacée à l’orchestre pour son centenaire.
Le Requiem de Milan Slavický repose sur la douloureuse expérience personnelle de Milan Slavický à la disparition de son père. Œuvre de profonde inspiration dont la technique assez sophistiquée permet aux émotions de sortir sans excès de sentimentalité. Après un début où s’amorce le malaise de l’hésitation, les bois crient la douleur du ‘Dies Irae’, la répétition des mots ‘Salva me’ souligne l’affliction qui aboutit dans la supplication du ‘Recordare’, et le ‘Pie Jesu’ est traduit par les cordes tendues vers le ciel ; c’est à ce moment seulement qu’entre la mezzo-soprano. Dans le ‘Confutatis maledictis’, le baryton pousse les appels à la clémence, et l’œuvre se clôture sur un accord majeur, soulagement et consolation donnés dans le ‘Lacrimosa’.
Ces trois compositions figurent sur le même disque et Milan Slavický s’accorde à dire qu’elles forment une manière de triptyque informel. Très bel exemple de la vitalité et de la profondeur de la musique tchèque contemporaine.
Dans une interview accordée à la revue Rudolfinum Review 2004/05, n°2, Milan Slavický décrit son Requiem comme une sorte de synthèse de sa musique depuis 1990 « et en même temps, j’espère, l’ouverture sur une nouvelle période ». On ne peut que déplorer la décision de Supraphon de ne pas avoir réalisé ces enregistrements malgré un mécénat à 100%.
Il reste du chemin à faire pour que le rayonnement de son œuvre soit à la hauteur de sa qualité, car la contribution de Milan Slavický à la musique tchèque et mondiale est bien plus importante que ne le laisse supposer les deux CD disponibles.
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Texte original anglais de Patrick Lambert, The Newsletter n° 80/Juillet 2007. Membre de la Dvořák Society, Patrick Lambert a été producteur musical à BBC Radio 3 pendant plus de vingt ans ; il a un intérêt particulier pour la musique tchèque.
Adaptation avec l’aimable autorisation de l’auteur, Gauthier Coussement
« On admire chez Milan Slavický le caractère volontariste qui lui a permis de garder jusqu’ici une certaine distance avec l’avant-garde formelle. Il prend en compte les acquis musicaux sans impertinence, dans un esprit de conciliation, avec la volonté secrète de chercher les fondements d’un langage nouveau qui aurait le don de satisfaire son besoin évident de modernité tout en ménageant le public de bonne volonté. » (Guy Erismann, La Musique dans les Pays tchèques)
Remarque : Ne sont disponibles actuellement que les deux références ci-dessous. D’autres enregistrements existent en 33T mais n’ont pas été réédités, (certains cependant ont été republiés en édition limitée dans « The week of new works ») on peut les repérer en gras dans le catalogue ci-dessous. On trouve par contre de plus nombreux enregistrements de Klement Slavický, le père de Milan.
‘Ich dien’ , Ombre, Beatus Vir, Invocation III, Les Yeux, Veni, Sancte Spiritus, Rapprochement II, Synergie / solistes divers.
Label : Studio Matouš, n° catalogue : MK00512931
Œuvres orchestrales : Porta Coeli, Deux chapitres du livre de Saint Jean, Requiem / J. Stefačková, I. Kušnjer, Chœur Philharmonique de Prague / CPO / J. Bělohlávek, S. Baudo.
Label : Studio Matouš, n° catalogue : MK00562031
Hommage à Saint-Exupéry, pour orchestre symphonique (1971) 9'
Diptyque, pour orchestre symphonique (1973) 23'
Terre des hommes, triptyque symphonique (1979-1983) 23'
I. Paysage animé, image sonore d’après un tableau de Fernand Léger
II. Hamletiana, scène pour orchestre de chambre
III. Terre des hommes, pour orchestre symphonique
Le Puits de Vie, Sinfonia Mortis et Vitae, triptyque symphonique (1986) 31'
I. Le Triomphe de la Mort, scène d’après un tableau de Pieter Bruegel
II. L’Espoir, méditation sur une sculpture de Matthias Braun
III. Le puits de Vie, culmination symphonique d’après Jérôme Bosch
Ad fontes, réflexion pour orchestre à cordes (1989) 13'
La voce soave II, l`omaggio a Mozart per la glasarmonica (ossia celesta) ed orchestra da camera (1991) 9'
Porta coeli, vision symphonique pour grande symphonique (1991) 12'. Prix de la critique musicale 1992
Deux chapitres de l’Apocalypse pour orchestre symphonique (1995) 20'
I. Le Lac de feu
II.La Nouvelle Jérusalem
'Ich dien', méditation pour orchestre de chambre (1995) 13'
Synergie pour quintette à vents et orchestre à cordes, 11'. Camerata Zurich
Requiem pour soli (mezzo-soprano et baryton), choeur et orchestre (2000/2001) 33'
Action de grâce du matin (2002) 10'
Concertino pour piano et ensemble de chambre (fl., htb, fgt, cello et percussions) (1969) 11'
Le chemin du Coeur, récit pour violon, bois et percussions, harpe et célesta (1978) 14'
Musique pour 4 clarinettes (1968) 12'
Musica lirica per flauto, violino e cembalo (1971) 9'
Musica notturna per flauto, violino e pianoforte (1976) 9'. Prix C.M. von Weber 1976
Eclairage I, trio pour violon, violoncelle et piano (1976) 9' / Eclairage I, version pour clarinette, violoncello et piano, (1984) 9'. Prix de la ville de Brasilia 1985
Quintette à vents (1976) 11'
Eclairage II, trio pour clarinette basse, piano et percussions (1978) 9' / Eclairage II, version pour ondes Martenot, piano et percussions, (1979) 8'
Dialogues avec le Silence, quatuor à cordes (1978) 14', Generace 1978. Prix C. M. von Weber 1979
Articulations quintette à vent (1980) 13'
Conversation I for 4 string instruments (1980) 10'
La voce soave I, l\'omaggio a Mozart per il glasarmonica (ossia celesta) ed otto strumenti a fiato (1981) 8' Generace 1981
Tre toccate per strumenti a percussione (1984) 11'
Eclairage III pour flûte, hautbois et trio à cordes (1977/1984) 9'
Eclairage IV pour hautbois et quatuor à cordes (1985) 12'
Ombre pour clarinette, violon et violoncelle (1985) 9'. CD Studio Matouš
Conversation II pour clarinette basse et piano (1988) 11' / version pour violoncelle et piano, (1988) 11'
Rapprochement II, double portrait pour violon et piano (1997) 11'. CD Studio Matouš
Invocation IV pour violon, clarinette et piano (1998) 7'
Contemplations de l’Avent, quatuor à cordes, (2002) 10'
Rapprochement III pour flûte, alto et guitare, (2004) 8´
Trio à clavier (création le 31 janvier 2008)
Trois Inventions pour basson (1967) 11'
Cycle for piano (1970) 9'
Trois Etudes pour hautbois, (1971) 6'
Microdrama pour guitare (1979) 5'
Monolithe pour orgue (1979) 12'
Echos pour tuba (1981) 12'
Les Yeux, mémento pour orgue (1983) 10'. CD Studio Matouš,
Invocation I pour alto (1984) 7'
Rapprochement I pour clavecin (1985) 11'
Variations sur un accord silencieux pour piano (1987) 9'
Invocation II pour marimba (1988) 6'
Sursum corda pour orgue (1993) 7'
Invocation III pour flûte (1994) 8'. CD Studio Matouš
Trois pièces pour cor (1996) 10'
Le Livre de l’Ecclésiaste, cantate de chambre pour chœur de chambre, récitant et ensemble instrumental sur le texte biblique, (1970) 12'
Collier de printemps, chansons pour choeur d’enfants et guitare sur les paroles de František Hrubín (1979), 4'
Le pendule du temps pour choeur mixte à six voix, ensemble instrumental et bande magnétique sur des textes de Jana Hejdová (1979) 8', Generace 1980
Reste avec nous mon amour, cycle pour mezzo-soprano, flûte, clarinette et piano sur des textes de Markéta Procházková (1979) 15', Generace 1979
Beatus vir pour choeur à quatre voix et orgue (1984) 4'. CD Studio Matous
Six Sonnets pour voix medium et piano (W. Shakespeare) (1989) 14'
Media vita I pour soprano et alto (1989) 8'
Veni Sancte Spiritus pour soprano et ensemble de chambre (2 cl, alto, cello, cb), (1997) 8'. CD Studio Matous
Regina coeli per coro di fanciulli o bambini (1999) 5'
Eloge du clavecin, musique concrète (1977) 9'
Variations sur un rayon Laser, musique pour bande magnétique (1982) 10'
Eclairage V ou Automne à Prague impression électroacoustique (1990) 14'10''
Adventus, contemplation électroacoustique (1992) 11'05'' Audiostudio, CD Solitaire
L'Avent, méditation électroacoustique, (1992) 11'20''. GMEB Bourges
Contrapunctus I pour hautbois/cor anglais et bande magnétique, (1992) 10'30''. Audiostudio
Trois petits duos pour soprano et flûte à bec alto (1974) 6'
Etudes de chambre pour violon, clarinette, guitare et accordéon (1975) 17'
Canon mélancolique pour soprano et flûtes à bec alto (1978) 3'
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