Pavel HAAS (Brno 1899 - Auschwitz 1944)

Alors qu’il étudiait le piano et que la première guerre faisait rage, il fut appelé sous les drapeaux (autrichiens). En 1921-22, il travailla avec Janáček. Entre les deux guerres, l’essentiel de sa vie fut voué à la composition. Voulant fuir l’occupation nazie, il fut pris et parqué à Terezín où il composa jusqu\'en octobre 1944, date de son transfert à Auschwitz. \"Parmi les élèves de Janáček, certains l’imitaient d’autres s’en détournaient, tandis que P. Haas réussit à assimiler ses méthodes dans son propre langage, utilisant des motifs serrés et expressifs dans des textures d’une remarquable invention mélodique, harmonique et rythmique\" (Grove). Comme presque tous les musiciens du pays, il puise aux sources des chants populaires moraves. Son écriture pendant la guerre montre à quel point il fut préoccupé par le drame politique du pays et de ses semblables, comme dans la Suite pour hautbois et la Symphonie pour orchestre (inachevée) ou l’Etude pour orchestre à cordes (1944). Des œuvres écrites à l’ombre de la mort.

Les Quatuors à cordes de Pavel Haas - article de Pierre-Émile Barbier paru dans le Cahier 38/39 du Mouvement.
Né le 21 juin1 1899 à Brno (Brünn, capitale de la province de Moravie au sein de l’empire austro-hongrois) d’un père tchèque d’origine juive et d’une mère russe (née Epstein), Pavel Haas passera l’essentiel de sa courte carrière dans sa ville natale. Il fréquente l’école allemande mais achève ses études dans une institution tchèque. Il apprend le piano et compose ses premières esquisses dès l’âge de treize ans. En 1917, il doit revêtir l’uniforme autrichien et n’entreprend des études musicales systématiques qu’en 1919 lorsqu’il s’inscrit au Conservatoire de Brno dans les classes de Jan Kunc et Vilém Petrželka. D’octobre 1921 à juin 1922, il suit la classe de Leoš Janáček afin d’obtenir sa maîtrise. L’influence de l’auteur de Jenůfa est profonde sur ce jeune créateur qui a d’abord été sous l’emprise du post-romantisme allemand, de Brahms au premier Schönberg, de Mahler et de Richard Strauss. Il désigne comme son “opus 1” un cycle de Six Mélodies dans le ton populaire pour soprano et piano qui puise dans le folklore morave l’essentiel de son inspiration. Il ne donnera de numéros d’opus qu’à dix-huit des cinquante ouvrages qu’il entreprend (et souvent laisse inachevés) entre 1922 et sa déportation en 1941. Jusqu’en 1935, date de son mariage, il est associé aux affaires de son père. Il s’essaie dans tous les genres musicaux et compose le premier (op. 3, 1920), de ses trois Quatuors à cordes, Scherzo triste (Zesmutněle scherzo) pour orchestre (op. 5, 1921), sous le coup d’un chagrin d’amour, Fata Morgana (1923), pour quintette à vent, avec ténor solo, le Quatuor à cordes n°2 op. 7 “Z opicích hor” (des Montagnes du singe, 1925). Fortement influencé par son oncle maternel, l’acteur et metteur en scène viennois Michael Epstein, il écrit pour la scène, le cinéma et la radio naissante, telle la musique populaire Život je pes (Une vie de chien, 1933) dont son frère Hugo est un des acteurs. En 1935, il épouse un médecin, Sonia Jacobsonová, et consacre désormais l’essentiel de son temps à la composition. Il achève alors la tragi-comédie Šarlatan op.14 (Le Charlatan, 1936, Brno, 2 avril 1938), d’où il tire une intéressante suite d’orchestre. Suivent le Quatuor n° 3 op. 15, déjà marqué en son mouvement lent central par les évènements politiques (Münich), la Suite pour hautbois et piano et les éléments d’une Symphonie en trois mouvements (5.8.1940 - 22.10.1941), travail interrompu par son transfert au camp de Terezin. La partition sera achevée par Zdeněk Zouhar en 1994.
Il arrive seul au ghetto, ayant pu faire croire à son divorce, subterfuge qui sauve de la mort sa femme et sa fille, ainsi que son neveu, le fils d’Hugo parti pour Hollywood. Sous la pression de ses coreligionnaires présents, en particulier de Viktor Ullmann, il continue à composer, des chœurs pour voix d’hommes sur des textes hébraïques et d’auteurs juifs (AlS’fod), une Étude pour orchestre à cordes (1943, donnée sous la direction de Karel Ančerl en août 1944), Quatre Chants sur des poèmes chinois que crée la jeune basse Karel Bermann (1944). Furent retrouvés les manuscrits de Variations pour piano et orchestre à cordes ainsi qu’un cycle de trois mélodies, L’Avent, pour mezzo-soprano, ténor et quintette instrumental. Il fait partie du dernier convoi partant de Terezín. Il est passé à la chambre à gaz dès son arrivée à Auschwitz (Oswiecim en Pologne), le 17 octobre 1944, comme Hans Krasa et nombre de musiciens juifs détenus à Terezín.
Le Quatuor n° 1 en ut dièse mineur op. 3 fut achevé, dans sa première rédaction, le 7 juin 1920 alors que Haas était dans la classe de Jan Kunc au Conservatoire de Brno. Cette partition en un seul mouvement, composé de deux parties complémentaires, proche du poème instrumental, constitue un vaste exercice de contrepoint qui marque l’influence de Hindemith et de Milhaud. L’étonnant lyrisme du grave misterioso initial semble avoir été accentué lors de la révision que Haas effectua en 1921 alors qu’il suivait la classe de composition de Leoš Janáček. Le Quatuor Morave en donna la première audition à Brno en 1922.
Le Quatuor n°2, achevé en 1925, forme comme un album de souvenirs de vacances d’été passées dans la région de Brno ; son sous-titre, Z opicích hor vient de l’expression utilisée par la jeunesse de Brno pour désigner la chaîne de collines qui s’échelonnent depuis la frontière tchéco-morave jusqu’aux confins de Brno, généralement désignée sous le vocable familier de Vysočina (Les Hautes Terres). Haas précisa, au moment de la création par le Quatuor Morave le 16 mars 1926 à Brno, dans un article paru dans Hudebni rozhledi (Les Nouvelles Musicales) : cette partition insouciante est entièrement dominée par le mouvement, qu’il s’agisse du rythme de la campagne et des chants d’oiseaux, de l’avancée irrégulière de charrettes de village, de la chaleureuse mélodie du cœur humain, du jeu froid des rayons de lune ou encore de l’équipée sauvage d’un soir de bamboche. Bien que construit selon le schéma classique d’une pièce en quatre mouvements, ce Quatuor forme une suite instrumentale. Le premier tableau apparaît comme un paysage musical aux teintes à la fois intenses et douces. Le second est une ovation au rythme, au mouvement, celui que tentaient de dominer aussi bien les futuristes italiens de l’époque d’Arthur Honegger, musicien français très influent en cette Tchécoslovaquie que Clémenceau venait de réinventer après trois siècles de domination autrichienne. Le troisième décrit également un paysage, nocturne cette fois, méditation calme et introspective qui forme un contraste saisissant avec le dernier volet, Nuit sauvage et dansante sur un rythme de rumba effrénée appuyée par une section rythmique de jazz, une minute d’émotion se glissant dans ce tourbillon avec l’évocation passagère du thème amoroso qui donnait sa tendresse au Paysage introductif. Les critiques qui s’élevèrent au lendemain de la création firent que Haas se laissa convaincre de supprimer le jazz-band (grosse caisse, caisse claire, tambour arabe, cymbales à pieds, baguettes de percussion et blocs métalliques) de la version originale. Leur présence était pourtant bien dans le style de l’époque, illustré par des partitions contemporaines signées Ervin Schulhoff, Hans Krása, Bohuslav Martinů, de Kurt Weill ou de...Maurice Ravel.
Le Quatuor n° 3 op. 15 fut écrit au lendemain du triomphe du seul ouvrage pour la scène qu’eut le temps d’écrire Pavel Haas. Cette tragi-comédie, Šarlatan (le Charlatan), sur un livret du compositeur partant d’un récit de Josef Winckler contant les aventures du fameux Dr. Eisenbart – personnage historique (1663 - 1727), chirurgien audacieux et médecin célèbre se déplaçant de foire en foire – était à la fois une chronique picaresque dans l’héritage direct de La Petite Renarde rusée, et la description du drame personnel d’un soi-disant charlatan, Dr. Faust oublié, homme complexe et généreux qui ressemble plus à l’auteur qu’au personnage historique et mythique. Le premier mouvement du Quatuor reprend deux des thèmes de cette ballade folklorisante dans un allegro moderato bâti selon un plan de sonate aussi concis que classique. Le mouvement lent central semble poursuivre la quête tragique du Smetana de la dernière époque (Quatuor en [i]ré mineur[/i]). Au choral traditionnel de Saint Wenceslas (Svatý Václave) se mêlent des mélodies moraves ornées d’une mélismatique empruntée aux chants de synagogue. Le final, un con moto propulsé avec une énergie néo-janacékienne, semble avoir été écrit dans l’euphorie suscitée par le rallye des Sokols ( litt. les faucons) en août 1938, manifestation qui avait réussi à faire renaître l’espoir d’une vaste coalition, d’une “union sacrée”, tant nationale qu’internationale, contre la pression qu’exerçait l’Allemagne hitlérienne sur la Tchécoslovaquie sous le couvert des Sudètes. Après l’énoncé d’une série de variations, celles-ci sont traitées en une fugue majestueuse qui prend en sa péroraison la forme d’un choral. La partition ne put être jouée du vivant de l’auteur. Elle dut attendre le 23 janvier 1946 pour être donnée en public.
Échelonnés sur moins de vingt ans d’activité, les trois Quatuors à cordes de Pavel Haas permettent de découvrir l’originalité d’un créateur qui, partant des “modernismes” antinomiques de Richard Strauss et de Franz Schreker, du jazzisme des années vingt, a réussi peu à peu à imposer sa marque pour aboutir dans son op. 15 à un ouvrage éminemment tchèque en son lyrisme intense allant du grotesque au tragique, acte de foi à la fois humaniste, patriotique, propre à assurer sa pérennité.

Pierre E. Barbier


Nota : L’essentiel des informations sur la vie et l’œuvre de Pavel HAAS est extrait de la monographie rédigée par Lubomir PEDUZZI, “Pavel HAAS, Life and works of a composer”, BRNO, 1993. Le Quatuor KOCIAN doit également à ce spécialiste la mise à disposition du matériel, en particulier celui concernant la version primitive du Quatuor n° 2 avec les parties de percussion de la section rythmique originelle.

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