Jaroslav JEŽEK (1906-1942)

Jaroslav Ježek fut un compositeur supérieurement doué dont le nom est indissolublement lié au Théâtre libéré. Né en 1906, il était adolescent à la fin de la première Guerre mondiale et, bien naturellement, il fut sensible aux modes en tous genres qui illustrèrent les « années folles », y compris aux influences américaines d’alors, notamment du jazz, à l’instar de ses aînés Martinů, Schulhoff ou Burian. C’est sous cet angle que la postérité l’honore mais son destin demeure celui d’un surdoué de la musique et de la culture.

Il est né le 25 septembre 1906 à Prague dans le quartier d’où étaient issus de nombreux poètes d’avant-garde. Au Conservatoire de Prague, il travailla avec K. B. Jirak et Josef Suk et reçut également les leçons d’Alois Hába. Dans ses diverses activités, il s’efforcera toujours de trouver la solution susceptible de combler le fossé qui se creusait entre le public et la musique dite « sérieuse ». Le Théâtre libéré continua donc, grâce aux sketchs sulfureux de Jan Werich et Jiří Voskovec, de participer à la dénonciation du nazisme. Il s’adaptait à toutes les situations et n’avait pas son pareil pour faire chanter les acteurs de la troupe. Si la critique officielle feignait de l’ignorer, le musicien bénéficiait par contre de l’appui de l’intelligentsia littéraire et surréaliste, Nezval en tout premier. Une gravure d’Adolf Hoffmeister montre des spectateurs de marque à une première du Théâtre libéré. On y voit F. X. Šalda, Karel Čapek, Roman Jakobson, František Halas, Julius Fucík, Josef Hora et quelques autres. Bien que l’humour restât très tchèque, le Théâtre libéré et Devětsil constituaient un foyer franco-tchèque influencé par le surréalisme. Ježek lui-même était un lecteur aussi bien de Molière que de Proust et d’Apollinaire et des surréalistes français. Il mit en musique des poèmes de Pierre-Albert Birot, traduits par Karel Čapek et la plupart des poètes tchèques du moment (Nezval, Seifert, Halas, Vančura) sans compter Pouchkine et Cocteau. Celui-ci intéressait tout ce monde pragois et favorisait sa curiosité envers toutes les nouveautés à commencer par le jazz. Dès 1927, Ježek s’était rendu à Paris pour rendre visite à Martinů, toujours féru de modernisme, particulièrement de sport, d’aviation, de cinéma, de radio et du jazz introduit à Prague par son confrère Burian, compositeur et touche-à-tout prodigieux. Fasciné par l’écoute de Gershwin, de Duke Ellington, de Louis Armstrong, « il retrouvait dans leur musique, dans son rythme et ses harmonies, ses contrastes et sa souplesse, celle de la rue présente en chaque individu ». On ressent quelque amertume devant un destin aussi tragique et aussi bref
que celui de Ježek. Presque aveugle et de santé délicate, il faisait une double carrière. Ses œuvres, hormis la musique des revues présentées au Théâtre libéré et quelques musiques de film, se rattachent à sa prime jeunesse, à sa sortie du Conservatoire. Il ne subsiste guère qu’un fameux Concerto pour piano composé pour son concours de sortie dont les trois mouvements portaient des intitulés de danses modernes : Fox-trot, Tango, Charleston, ce qui décida de son engagement au Théâtre libéré, une Fantaisie pour piano et orchestre en 1930, également marquée par le jazz et un Concerto pour violon et orchestre de la même année créé le 26 septembre 1930 par le violoniste si réputé, ami de Martinů, Stanislav Novák et la Philharmonie tchèque dirigée par Václav Talich… mais aussi un Bugatti Step en l’honneur du pilote français Louis Chiron qui avait remporté le grand prix automobile à Brno.
Sa musique surprenait par son audace et sa liberté, se souciant peu des règles, de sorte que la critique ne lui était guère favorable. Ainsi en fut-il de son Quintette à vent (1931) où, a dit le grand musicologue Václav Holzknecht, il flirta avec la « laideur », et encore une Sonate pour violon et piano (1933), deux Quatuors (1932 et 1941). Sa musique était le reflet de ses humeurs, comme sa Sonatine (1928) pour piano, ses Bagatelles (1933), sa Rhapsodie (1938), sa Toccata (1939) ou son ultime et douloureuse Sonate de 1941, œuvres qui tracent le portrait de cet enfant doux et terrible.
Après les accords de Munich, les autorités, désireuses de ménager ce qui déjà ne pouvait plus l’être, n’autorisèrent pas la réouverture du Théâtre libéré. Ježek et ses compagnons Voskovec et Werich s’exilèrent aux Etats-Unis avant l’entrée des troupes allemandes à Prague. Là-bas, la solidarité tchèque aida Jaroslav Ježek à vivre et à composer dans la souffrance.
La mort le surprit le 1er janvier 1942. Il avait trente-cinq ans.
Guy Erismann, 2006

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