Jan Jakub RYBA (Přeštice 1765 - Rožmitál 1815)

En 1765, lorsque naît Jakub Jan Ryba, la guerre de Sept Ans est terminée depuis deux années. L’une de ses conséquences fut de stimuler la conscience nationale dans les Pays tchèques et moraves. Joseph II, qui partage le pouvoir impérial avec sa mère Marie-Thérèse, va bientôt promulguer des réformes profondes dans l’enseignement – laïcisation, suppression de l’ordre des Jésuites, germanisation radicale. Si la langue tchèque se voit refoulée encore un peu plus vers les cercles populaires, sa conscience commence à trouver une certaine cohésion et des défenseurs parmi les lettrés et les artistes. Le 18ème siècle puis le 19ème siècle sont ainsi riches de personnages symboliques de cette destinée de la nation tchèque. La grande émigration des musiciens tout au long du 18ème siècle a laissé malgré tout des compositeurs attachés à leur terroir. Jakub Jan Ryba est de ceux-là. Compositeur, écrivain, poète, philosophe et pédagogue, il est un parfait exemple du kantor.
Né d'un père musicien qui fut aussi son premier professeur, il mit tragiquement fin à ses jours dans la forêt de Rožmitál le 8 avril 1815, atteint d’une profonde dépression due sans doute à la résistance bornée de ses supérieurs et de ses concitoyens provinciaux de Rožmitál à ses idées libérales et avancées.
Aujourd’hui surtout connu pour sa très populaire Messe de Noël Tchèque, Česká mše vánoční ‘Hej Mistře’ (Missa solemnis festis Nativitatis Domini Jesus Christi accomodata in linguam bohemicam musicamque redacta) en la majeur, pour soprano, contralto, ténor, basse, chœur, orgue et orchestre dont la particularité est précisément d’avoir un texte complètement en tchèque et non en latin ou en dans les deux langues. Ryba fut aussi un humaniste passionné, cherchant à propager une modernité dont avaient bien besoin les esprits en Bohême. On a vu ce qu’il en était advenu.

Lorsqu’il a sept ans, la famille quitte Přeštice, petite ville au sud de Plzeň, à mi-chemin de Klatovy, qui possède une très belle église baroque de Kilian Ignaz Dienzenhofer, et s’installe à Nepomuk, autre petite ville à environ 20 km à l’Est. Enfant précoce et musicalement très doué, il commence à étudier le piano, le violon et l’orgue avec son père, instituteur et kantor. Ryba lui-même indique dans son journal qu’il avait des parents très aimants et que la famille était heureuse. Son père était d’une famille de musiciens tout comme son beau-père à lui. A dix ans, il lui arrive déjà de le remplacer à l’orgue. Sans doute fait-il aussi des premiers essais de composition, mais rien ne nous en est parvenu. Son père souhaite lui offrir une éducation plus valorisante, mais devant l’insuccès de l’obtention d’une bourse, c’est un oncle, Jan Vaněček qui, comprenant aussi tout le potentiel de l’enfant, convainc les parents de l’emmener à Prague où il prendra le jeune Jakub Jan sous son aile. En 1780, Jakub Jan entre au collège (Gymnasium) des Piaristes, ordre religieux dont l’enseignement – gratuit – était en allemand. Là, il suit le violoncelle, l’orgue et la théorie musicale avec Fux, mais aussi la philosophie ainsi que le latin et le grec, le français et l’italien. A Prague, il vit probablement les plus belles années de sa vie, « il découvre les idées nouvelles et accueille avec ferveur les écrits de Rousseau et de Voltaire, il lit Sénèque et Catulle. Cette période praguoise lui permet de se familiariser avec la musique de ses grands aînés, Seger et Koželuh entre autres et de prendre connaissance ou de copier de la musique italienne, des œuvres de Bach, de Haydn et de Mozart, partout présent à Prague. Il eut également la facilité de jouer sur des orgues d’église prestigieuses comme celle du Clementinum »(*).
Tout en étudiant, il donne aussi des cours et à Prague, son enseignement est apprécié. Mais il écourte ses études pour aider son père souffrant. Puis, malgré des études inachevées, il obtient un premier poste de professeur, avec salaire d’assistant en attendant d’avoir fait ses preuves, brièvement à Nepomuk, puis un temps à Mníšek et enfin, en 1788, à Rožmitál où il va rester jusqu’à sa mort.
En 1790, il a donc vingt-cinq ans, il se marie avec Anna Laglerová, fille du burgrave de Rožmitál ; le couple aura treize enfants. Être instituteur (kantor) n’est guère facile. Il faut savoir quelles sont les conditions de travail de l’époque à la campagne. Si la scolarité est obligatoire de 6 à 12 ans, l’école est perçue au pire que comme une inutilité. Peu de respect parental, enfants turbulents… Le kantor vit chichement de frais de scolarité souvent pas même payés. Pauvreté évidente de l’école où l’hiver les élèves doivent apporter le bois pour chauffer. Mais Ryba, qui prend sa mission d’enseignant très à cœur, entraîne les enfants dans la découverte de la musique, insiste pour qu’ils parlent bien (l’allemand !), leur apprend les rudiments agricoles et ménagers. Toute sa vie est marquée par une lutte épuisante contre l’esprit borné des villageois. Il n’est guère apprécié des autorités locales auxquelles il se plaint sans cesse des mauvaises conditions de l’enseignement. Le curé du village prend particulièrement ombrage de son attitude novatrice, car Ryba considère l’école aussi importante que l’église.

De tout cela, Ryba tient un journal non seulement musical mais aussi révélateur des conditions sociales de l’époque.
De leurs treize enfants, seuls sept atteindront l’âge adulte. Veuve, Anna épousera plus tard, l’assistant de son mari, un certain Antonín Štědrý, qui l’aida à élever les enfants. L’aîné de ceux-ci, Josef, deviendra médecin ophtalmologiste et doyen de la faculté de médecine de Prague.
La musique un refuge ? Certainement pas, c’était sa vraie vocation que les vicissitudes de la vie n’ont pas fait dévier sauf au moment fatal de sa mort et la musique de Ryba est d’une écriture dont se dégage une joie mêlée d’un sentiment de bonheur pastoral.

A l’époque dans les Pays de la Couronne de Bohême, l’allemand est la langue qui régit une bonne partie de la vie des tchèques. Ryba découvre assez tard la richesse de sa langue maternelle, au moment où (1792) le philosophe et historien Josef Dobrovský publie - en allemand - une « Histoire de la langue et de la littérature tchèques ».
Cette découverte est sans doute l’explication de la composition en langue tchèque en 1796 de la fameuse Messe de Noël ‘Hej mistře !’ Cette messe fait partie d’un ensemble de « Seize messes anniversaires dont l’une en langue tchèque » que Ryba signale lui-même dans le journal de ses œuvres entrepris en 1801.
La Messe de Noël avait été précédée en 1788 par une autre messe pastorale en ré majeur, perdue, où Ryba intégrait déjà le tchèque et le latin. Exécutée chaque année à Noël, La Messe de Noël est aujourd’hui un des piliers de la tradition tchèque. Elle possède un doux impact émotionnel qui, par sa simplicité musicale, la rend compréhensible par tous. « Cette messe ne suit aucunement la ligne liturgique classique. On pourrait la rattacher aux jeux liturgiques anciens et, bien que plongeant ses racines loin dans le passé, elle ne s’en projette pas moins très en avant, nous faisant d’avance comprendre pourquoi Smetana ne sera ni Liszt ni Wagner, en dépit de l’admiration qu’il portait à ses deux aînés, pourquoi Dvořák ne sera pas Brahms, son modèle et ami, et pourquoi Janáček sera si différent de Schönberg et Martinů de Stravinsky. Cette « charmante » messe, emblématique d’un art populaire, introduit [donc] une langue profane dans [la totalité du texte d’]une messe en même temps qu’elle officialise la langue tchèque sous couvert de l’Eglise. »(*) Václav Jan Kopřiva (1708 – 1789), maître de chapelle à Citolibý l’avait déjà fait en pratiquant des interpolations d’arias en tchèque dans le texte latin que le public paroissial ne comprenait pas.

Le texte est simple et n’a rien à voir avec celui de la liturgie classique : les bergers sont réveillés par une clarté extraordinaire des cieux et par le chant des anges qui annoncent la naissance de Jésus. Les bergers réveillent leur maître : Holà maître (Hej mistře !) appel devenu l’exergue de l’œuvre.
Holà maître ! Levez-vous. Regardez autour de vous ! Quelle beauté dans cette nuit ! Les étoiles sont plus belles, le ciel est plus clair, la lune resplendit, les jardins et les bois – tout est enveloppé par la lumière !
Le maître n’est pas content d’avoir été réveillé. Mais il aperçoit lui aussi la lueur peu habituelle des étoiles. Puis les deux bergers écoutent ensemble le chant des anges et chantent eux-mêmes :
D’où vient cette musique si douce et si belle ?
Cette jubilation, ces chansons célestes ?
Allons sans retard là où la musique résonne !

Cette messe est donc conçue comme un ‘entretien’ des bergers se préparant à aller à Bethléem, comme dans une sorte d’image animée des crèches populaires. On songe aux délicieuses illustrations de Lad’a.

La Messe de Noël ne doit pas faire oublier le reste de sa production tant musicale que littéraire. Compositeur très prolifique, mais les sources sont divergentes, il laisse environ 1370 n° d’opus - 1390 selon son journal– 38 concertos dont 12 pour piano, 35 symphonies, 70 quatuors, 100 trios, 90 sonates, 80 messes, 3 Stabat Mater, 5 Te Deum, 7 Requiem, 50 cantates pastorales sur des textes tchèques et latins, etc. Il n’a pas manqué de saupoudrer ses manuscrits d’un peu d’humour, signant parfois J.J. Poisson, Fisch, Ryballandini, Rybaville, variations sur son propre patronyme (ryba signifie poisson).

Il est aussi l’auteur d’une abondante œuvre théorique dont Les Principes premiers et généraux de tout l’art de la musique et du Dictionnaire de termes musicaux tchèques (le Réveil National est dans l’air), édités après sa mort. Très exactement classique sans originalité marquante, mais vif et plaisant, plein d’énergie, proche des sources traditionnelles populaires, son style musical s’inscrit dans la ligne de Haydn et Mozart et de ses contemporains tchèques Koželuh et Vaňhal. Il compte parmi les premiers compositeurs à avoir écrit des mélodies sur des textes tchèques et non allemands.



Bibliographie


(*)Guy Erismann, La Musique dans les Pays tchèques, Fayard 2001.
Jan Němeček, Jakub Jan Ryba : Život a dilo (Vie et œuvre de J.J. Ryba), Prague 1947, rééd. 1963.
Jan Němeček, Skolny deniky Jakuba Jana Ryby (Journal de J. J. Ryba), Prague 1957.
Jan Němeček a établi un catalogue des œuvres de Ryba (N.)
J. Janáčková, Jakub Jan Ryba o svém hudebním životě. (Traduction en allemand de son autobiogaphie musicale à partir de 1081), Prague 1946.
J. Spěvaček, Jakub Jan Ryba, Prague 1984.

Autres sources


En tchèque :
- Pražská informační služba (pis.eunet.cz)
- zivotopisyonline.cz/jakub-jan-ryba (extrait de 234 personnalités tchèques, 2003)
- municipal.cz/osobnosti/ryba
- geocities.com/vienna/studio/1541/ryba (11 pages, très détaillé, source ayant servi à bien d’autres)
- www.musica.cz


En français :
Radio Prague, émission du 24.12.2003


Enregistrements

:
Il existe de nombreuses versions de la Messe de Noël tchèque, quelques autres Messes dont celles en Ut majeur (N. 385) et en mi mineur, le quatuor en Si b majeur (N. 393) des Pastorales ou des Chants de Noël. Les autres œuvres sont plutôt rares.

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