Figure centrale de la vie musicale à Prague pendant la première moitié du 19ème siècle, Tomášek fut un esprit ouvert à de multiples disciplines et, par le biais de son enseignement, exerça une réelle influence sur la transition du classicisme au romantisme.
D’après des documents écrits, sa fondation remonte à 1289. Elle se situe à 25 km de Litomyšl (où est né Smetana en 1824) à 30 km de Polička (Martinů) et à environ 150 km à l’est de Prague. Elle relève du district de Pardubice dont l’orchestre symphonique est aujourd’hui réputé. A l’époque de Tomášek, Skuteč comptait quelque 3500 habitants. On y trouve encore aujourd’hui la maison familiale au 508 de la rue Tomášskova, jolie construction à colombage du 18ème siècle, restaurée en 1990-93 et devenue musée permanent depuis 2000. L’école secondaire (jazykové gymnázium) porte aussi son nom. Skuteč est réputée pour son activité de fabrication de chaussures et l’extraction du granit. Même si Tomášek n'y passa que les quelques années de son enfance et de son adolescence, on y cultive aujourd'hui son souvenir par des concerts annuels. Ainsi, du 7 au 14 mai 2006 on y a donné sa Messe solennelle du couronnement, un Trio à clavier et la Symphonie n° 3 en ré, œuvres intégrées dans un programme qui ne manquait pas de prestige avec le Stabat Mater de Dvořák, des œuvres de V. Novák, Mozart, Martinů, le tout dans le cadre du Festival de Pardubice.
Le père, Jakub Tomášek, était bourgeois tisserand. Son fils Václav Jan Křtitel qui naît le 17 avril 1774 est le treizième enfant. A 4 ans, c’est déjà un enfant très doué pour la musique ; son père l’accompagne à Chrudim pour apprendre les rudiments de violon et de chant. A Skuteč, il apprend le piano. A 13 ans, il est envoyé à Jihlava pour suivre l’enseignement secondaire (gymnázium) et devient choriste au monastère des minorites de cette ville. Il se met aussi à la théorie musicale et à l'orgue. Mais là aussi, il en a vite fait le tour et, en 1790, à l'âge de 16 ans donc, c'est le départ pour Prague.
Tomášek termine à Prague ses études secondaires et s’inscrit en droit à l’université. S’y ajoutent, les mathématiques, l'histoire et l'esthétique, et il prépare le doctorat pour lequel il suit encore des cours d’anatomie et chirurgie (!). Tout cela ne l’empêche nullement de s’adonner avec ferveur à l'étude de la musique. Il se perfectionne au clavier, tâte de l’improvisation et assiste à de nombreux concerts. Il a certainement vu Don Giovanni. Quant à la théorie, il l’étudie par lui-même dans les traités dont celui de Fux. Cela fera de lui un parfait autodidacte en composition et son goût pour la théorie musicale l’accompagnera toute sa vie. Travaillant sans relâche, - il a probablement pris des leçons avec František Xaver Dušek - il se forge en moins de six ans une solide réputation d’excellent pianiste, d'improvisateur et de compositeur : ses premières Eglogues et ses deux Concertos pour piano datent du tout début des années 1800. C'est à cette époque, en 1806, que le comte Georges François (Jiří František) Bucquoy de Longeval le pousse à abandonner l’idée d’une carrière juridique pour devenir le précepteur de musique et compositeur de sa maison au salaire annuel de 400 florins or, poste qui lui assurera la tranquillité financière pendant les seize années qu’il sera son service. Après son mariage en 1824, lorsqu’il quittera son service, il recevra par contrat encore une pension annuelle de 700 florins. Il bénéficie aussi de larges possibilités de voyages et de travail personnel. A l'inverse donc de bien des musiciens de Bohême de l'époque qui allaient chercher à l’étranger leur subsistance, Tomášek reste ancré à Prague et y devient une figure centrale de la vie musicale. Certains se posent la question de son inspiration. Peut-on imaginer qu'au contact d'autres compositeurs à l’étranger, il aurait produit des œuvres autrement plus riches? Rien ne le prouve, car sa vocation pédagogique était peut-être plus forte que celle de compositeur. On le verra, en effet, fonder à Prague sa propre école en 1824. Sa maison, dans la rue aujourd'hui baptisée Tomášska dans Malá Strana, fut une véritable ruche de la vie musicale à Prague jusqu'à sa mort. Une plaque commémorative y est apposée.
Au cours des années 1820, Tomášek, tourmenté par la goutte, fait des séjours à Marianské Lázně et Karlovy Vary. Sachant Goethe dans les environs, il lui rend visite. Une cordiale admiration mutuelle anime les deux hommes et une correspondance s’échange entre eux. Goethe apprécie les mises en musique de ses poèmes par Tomášek – dont le Roi des Aulnes, la même année que Schubert (1815) - au point de lui écrire en 1820 : « Mon très cher Ami, j'aimerais tellement vous exprimer mes remerciements chaleureux pour l'intérêt et l'attention infatigable que vous portez à mes poèmes. » Il eut donc plus de chance que Schubert… [Seize compositeurs se sont attaqués au Roi des Aulnes].
C'est au cours d'un séjour de cure que se noue une idylle avec Vilemína Ebert une jeune pianiste à qui il enseignait le chant et avec qui il préparait une exécution de quelques-uns de ses Lieder d'après Goethe. Le père, Michael Ebert, ardent patriote, conseiller juridique auprès du prince de Fürstenberg, faisait partie comme Tomášek du cercle des amis de l’historien et linguiste František Palacký. Le mariage est célébré en 1824. Le couple s’installe à Prague, dans la maison de l’éditeur de l’almanach Libussa. Cette maison devient un lieu favori de concerts et de soirées où se produisent les élèves de Tomášek.
Malheureusement, Vilemína, de santé fragile, meurt en 1836 et dès lors, Tomášek fuit quelque peu la société, sauf pour son enseignement auquel il ne renoncera que dans ses derniers jours.
Patriote, Tomášek l'est certainement et il pratique la langue tchèque. C'est cependant l'allemand qui sera toute sa vie sa langue véhiculaire - ne serait-ce que pour converser avec tous ceux qui viendront le voir ou à qui il rendra visite - mais aussi celle dans laquelle il compose la majorité de ses Lieder d'après des poèmes des romantiques allemands, Goethe et Schiller entre autres. « Ce personnage hautement cultivé […] et à la forte personnalité était ancré dans un monde bilingue et biculturel dans lequel le pouvoir imposait sa langue et son mode de vie, pour ne pas dire son mode de pensée. » (Guy Erismann, La Musique dans les Pays tchèques).
Personnalité forte qui inspirait le respect par sa rigueur, son exigence personnelle et ses profondes connaissances musicales, Tomášek a une grande réputation à Prague et même plus loin, suffisamment établie pour qu’il puisse songer à gagner sa vie de manière autonome comme professeur et compositeur. Ses œuvres sont éditées avec succès. Il fait autorité en matière de musique à Prague, au point que ses contemporains l'avaient surnommé le « Pape de la musique à Prague ». En 1824 donc, il ouvre son école, chez lui. Lui rendent visite des artistes tels que Nicolò Paganini, Muzio Clementi, Franz Liszt, Clara Schumann et même le jeune Richard Wagner. Hector Berlioz aussi, qui dans des mémoires note avec humour : « J’ai écouté un concert où sur trente-trois compositions trente et une étaient de Monsieur Tomášek ». [On se demande dans quelle langue ils ont conversé]. Il entretient également des liens amicaux avec Jan Nepomuk Hummel et Carl Maria von Weber. Il voyage aussi et rencontre Haydn et Beethoven qui lui témoignent leur admiration. Bien des musiciens de cette époque et non des moindres auront donc bien conscience du rôle central que Tomášek jouait dans l'évolution musicale du temps. Il aura comme élève, entre autres, Julius Schulhoff (le grand oncle d’Erwin Schulhoff) et Jan Hugo Voršíšek – peut-être que de ce lien pédagogique naîtra l'impromptu ? -, et le redoutable critique viennois Eduard Hanslick qui dira de lui plus tard : « Le sentiment qu'il avait de sa propre valeur n'était pas injustifié. Tomášek était un compositeur important, inventif, fertile et très bien formé. Sa musique est toujours virile et pleine de caractère. Ses Lieder sont ardents et sincères sans jamais être mièvres ; ses pièces pour piano sont vivantes, spirituelles, vives et sans coquetterie; ses œuvres religieuses atteignent une vraie grandeur. » et encore, pour souligner son caractère exigeant, que « les élèves devaient étudier un Prélude et Fugue de Bach après chaque cours. »
Comme pédagogue, il est incontestablement progressiste, poussant ses élèves dans les voies nouvelles du romantisme. Son enseignement est basé sur l’étude de Bach avant tout mais aussi d’œuvres de contemporains comme Mendelssohn, Chopin, Liszt et Thalberg et du jeune Beethoven. Il a la réputation d’être rigoureux et de dédaigner les aptitudes purement techniques et virtuoses. Pour ses propres compositions, par contre, il était plus réservé et s'en tenait à une esthétique classique sage pour ne pas dire conservatrice, gardant toujours pour modèle Mozart, Gluck et Haydn, mais le glissement en douceur vers le romantisme est latent, particulièrement dans ses œuvres pour piano seul et ses Lieder qui sont ses pièces les plus intéressantes à nos oreilles actuelles.
Poursuivant ses intentions pédagogiques, il écrit une autobiographie publiée en allemand en feuilleton dans l’almanach pragois Libussa de 1845 à 1849. Ces textes ont été republiés en 1941 à Prague. Il s’y présente lui-même dans les termes fleuris de l’époque : « Václav Jan Tomášek, compositeur de musique du comte Georges Buquoy, maître des arts libres, membre émérite de la grande association hollandaise de musique pour l’embellissement des arts musicaux, membre correspondant d’honneur de Ste-Anne à Vienne, membre d’honneur de la National Verein für Musik und ihre Wissenschaft allemande, membre d’honneur de sociétés de musique de Vienne, Innsbrück, Pest et Buda et membre d’honneur de la société de Lvov. »
On compte 114 numéros d’opus.
Ses premières œuvres, essentiellement des pièces pour piano, sonates et variations – dont une Variation N°43 sur un thème de Diabelli -, celles antérieures aux années 1800 alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années, pourraient laisser entrevoir un penchant vers un certain maniérisme. Mais rapidement, son écriture se fait plus lyrique et dès 1806 ses compositions, auxquelles il donna des titres volontairement tirés de l'antiquité classique, marquent la distance d'avec les compositions pastorales du 18ème siècle.
Ce sont ses compositions les plus intéressantes : Eglogues, Dithyrambes et Rhapsodies ainsi que les Lieder.
Symphonies
Symphonie N° 1 en ut majeur (1801)
Symphonie N° 2 en mi bémol majeur, op. 30 (1805)
Symphonie N° 3 en ré majeur (1807)
Pas d’enregistrement CD connu.
Concertos pour piano (1803-1805)
Premier concerto pour piano en ut majeur op. 18
Deuxième concerto pour piano en mi majeur op. 20[/i] sous-titré « Grande Concert pour le Pianoforte avec grande Orchestre ».
La conception des parties solistes et d’orchestre de déroge pas à la ligne habituelle de celle des œuvres composées autour de 1800. Ils perpétuent la tradition classique mais ne brillent pas par une grande invention mélodique. On se rappellera pour mesurer la distance que les deux premiers concertos pour piano de Beethoven datent de 1795 et le troisième sans doute de 1803.
Enregistrement
Jan Simon, piano. Orchestre Symphonique de Radio Prague, dir. Vladimir Valek. Supraphon 2006.
[i]Messe solennelle en ut majeur (1836)
Pour soli, chœur et orchestre.
Œuvre de circonstance composée pour le couronnement de Ferdinand V de Habsbourg roi de Bohême.
Enregistrement
Richard Novak (basse), Jana Jonasová (soprano), Marie Mrazová (contralto) Vladimir Doležal (ténor), Jan Hora (orgue). Orchestre de chambre de Prague sous la dir. de Pavel Kühn. Supraphon, 1995 (CD comportant aussi une messe de Vranický).
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Requiem en ut mineur (1820)
Inspiré par une catastrophe naturelle qui frappa le village de Stráň en Bohême de l’Ouest.
Enregistrement
Magdalena Hájossyová (soprano), Marta Beňačková (contralto) Milan Burger (basse). Orchestre Symphonique de Prague et Chœur mixte Pavel Kühn, sous la dir. de Bohumil Kulinský (Multisonic, 1997)
Te Deum
Pas d’enregistrement connu
Opéras
Curieusement et malgré sa formation au chant, Tomášek ne s’est pratiquement pas penché sur l’opéra et encore moins en tchèque, se montrant là relativement en retrait par rapport à l’air du temps, les Eveilleurs. La seule composition qu’on lui connaisse est en allemand : Seraphine, oder Grossmut und Liebe (1811).
Pas d’enregistrement connu
3 Quatuors à cordes (1792-93)
1 Trio à clavier (1800)
3 Quatuors avec piano (1792-93)
7 Sonates (1800-1807)
Diverses pièces dont : un Menuet pour clarinette et trois cors de basset, une Fantaisie pour harmonica de verre - enregistrés dans les coffrets « Mozart et le Bohémiens » et « Prague, dernière vendange » sur K617 (2004).
Eglogues, Dithyrambes et Rhapsodies
42 Eglogues, courtes pièces de caractère léger et simple, proche de l’atmosphère pastorale qui ont servi de modèle entre autres à Voršíšek et Schubert.
Leur composition s’étale de 1806 à 1823, en 7 volumes d’un total 42 pièces des opus 35 (1807), 39 (1810), 47 (1813), 51 (1815), 63 (1817), 66 (1819) et 83 (1823). Leur écriture pour le piano rejette la virtuosité gratuite et aura une influence sur Dvořák. Précurseur, Tomášek fut ainsi le premier à se consacrer à des compositions pianistiques précocement romantiques d’une telle ampleur et à utiliser la forme de la rhapsodie dans ses pièces pour piano. Travail qu’il mena sur des dizaines d’années. Il est intéressant de noter que six de ces volumes furent édités avant le premier Impromptu de Schubert (1827) et les Nocturnes de John Field (1814).
Enregistrements
Eglogues op. 35 et 51
Jaroslav Tůma sur une copie d’un piano Walter Sohn (Vienne 1805) faite par Paul McNulty, facteur installé à Divišov.(CD ARTA Classica)
Eglogues op. 66
Chris Seed, piano. (Olympia, 2001) (avec 6 Impromptus de Voršíšek)
19 Eglogues des op. 35, 39, 47, 63, 66 et 83.
Milan Langer, piano. (Panton, 2000)
6 Eglogues op. 35
Pavel Stepan, piano. (Supraphon, 1975)
15 Rhapsodies
6 de l’op. 40 et 6 de l’op. 41 (1810), 3 de l’op. 110 révèlent plus d’intensité dramatique.
8 Dithyrambes op. 65 (1818-23)
Phyllis Moss, piano, avec deux Allegri Capricciosi de l’op. 84 et une Rhapsodie de l’op 41. (Centaur, 1999)
6 Allegri Capricciosi, op. 84 (1815-18)
Lieder
Sur des poèmes de Goethe (op. 53 à 61), Schütter (op. 73), Schiller, Heine, Hölty, Gellert & Tiedge, op 33, 77, 92. La majorité des Lieder sont en allemand mais, avec J. J. Ryba, c’est l’un des premiers à composer sur des poèmes tchèques (sur les textes des faux manuscrits de Dvůr Králové, sur des textes du poète Hanka).
Enregistrements
Kurt Widmer (baryton), Klaus Linder, pianoforte (Schola Cantorum Basiliensis, Ars Musici, enreg. 1981, publ. 1997) : Der Fischer, op. 59 - Nachgefühl, op. 53 - Wandrers Nachtlied, op. 58.4 - Erlkönig, op. 59 - Frühzeitiger Frühling, op. 54 - Auf dem See, op. 57 - Mit einem gemalten Band, op. 55.4 - Mailied, op. 53.3 - Wer kauft Liebesgötter?, op. 53 - Selbstbetrug, op. 56 - Am Flusse, op. 55 - Sorge, op. 57 - Der König in Thule, op. 59 - Der Rattenfänger, op. 54 - Schäfers Klagelied, op. 56 - An die Entfernte, op. 55 - Erster Verlust, op. 56 - Jägers Abendlied, op. 57 - Rastlose Liebe, op. 58.1 - Trost in Tränen, op. 53 - Nähe des Geliebten, op. 53.2 - Die Nacht, op. 55.5.
Magdalena Hájossyová, soprano et Marian Lapsansky, piano. (Multisonic, 1995) : Die an den Mond, op. 56.4 - Die Bekehrte, op. 54.3 - Dauernder Frühling, op. 77 - Des Dichters Lied, op. 77 - Des Pilgers Nachtlied, op. 33 – Erwartung - Heidenröslein, op. 53.1 - In die Ferne, op. 92 - Der Knabe, op. 33 - Das Lied - Das Mädchen, op. 33 - Mailied, op. 53.3 - Mein Hochland, op. 92 - Mein Lieb, op. 92 - Mignons Sehnsucht, op. 54.1 - Mit einem gemalten Band, op. 55.4 - Die Nacht, op. 55.5 - Der Nachtigall letzter Gesang, op. 77 - Nähe des Geliebten, op. 53.2 - Rastlose Liebe, op. 58.1 - Die Spröde, op. 54.2 - Das Veilchen, op. 57.1 - Vorschlag zur Güte, op. 60.2 - Wanderers Nachtlied, op. 58.4
Curiosité relevée sur un CD :
Danses du Labyrinthe (Netherland Ballet Orchestra, dir. Thierry Fischer (Donemus, 2000).
Gauthier Coussement
Sources :
Guy Erismann, La Musique dans les Pays tchèques, Fayard 2001.
Marta Němcová/ Harmonie, 2004/4 (muzikus.cz)
artaclassica
Radio Prague
Ville de Skuteč
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